L’étude de la littérature costaricienne à travers ses cent ans d’histoire révèle, au-delà de différences de genres, de particularités esthétiques et de spécificités historiques, certaines clés de son développement qui permettent de tracer une carte dont les chemins sont marqués par des références communes et constantes du discours littéraire : l’identité du Costaricien et son territoire.
Le début : la fondation de la littérature nationale
Les premiers écrivains costariciens participèrent à l’effort général de leur époque, occupée à la construction d’une image nationale. Pour offrir à la conscience nationale un temps et des événements fondateurs, ils se sont référés à l’histoire de leur patrie. Le Costa Rica se concevait lui-même, à ce moment-là, comme une grande famille, unie sous l’autorité paternelle.
La littérature costaricienne présente à ses débuts un mélange de genres littéraires qu’illustre très clairement l’œuvre de Manuel Argüello Mora (1834-1902), publiée dans des journaux et des revues du pays entre 1860 et 1900. Faite de tableaux, de fables moralisatrices, de chroniques, de légendes, de nouvelles dont « El huerfanillo de Jerico »), d’un texte autobiographique et d’un roman, Misterio (1888), l’œuvre de Manuel Argüello, proche du feuilleton, est basée sur la défense des valeurs de la famille : les conflits politiques se posent en termes de relations personnelles, ils reposent sur des oppositions familiales, et les problèmes sociaux et politiques proviennent du manque de respect de l’autorité et de conflits avec ses représentants.
Les chroniques de Manuel de Jesus Jiménez (1854-1916) reprennent avec nostalgie les généalogies familiales, en particulier celles des familles qui ont fondé le pays ; elles projettent et figent une image d’un pays heureux, innocent, familier et héroïque. Le territoire national où se situent ces chroniques apparaît comme le Costa Rica authentique, en opposition avec le pays de son lecteur, celui du début du XXe siècle.
L’image de la nation se crée ainsi dans les premières œuvres de la littérature costaricienne : le territoire est fermé, connu, petit et accueillant ; le temps évoqué est en général le moment idéalisé de l’enfance, et toujours le passé est supérieur au présent ; les personnages appartiennent à des familles rurales, qui ne connaissent pas les conflits internes, organisées selon une hiérarchie patriarcale.
Participant au processus de consolidation d’une identité nationale, à la fin du siècle dernier et au début du XXe, plusieurs polémiques ont été soulevées au Costa Rica, dans différents domaines culturels. Une de ces polémiques fut provoquée par l’engagement dans le modernisme : à l’exception de Roberto Brenes Mesén (1874-1947), l’influence du modernisme sur la poésie fut tardive et, par conséquent, décalée par rapport au mouvement dans les autres pays latino-américains. Le théâtre commençait à peine, à cette époque-là, à produire ses premières œuvres, et l’art narratif, également à ses débuts, pouvait présenter deux modèles d’écriture divergents dans la production d’un même écrivain et, parfois, dans un même texte.
En littérature, la première polémique surgit à l’occasion de la publication, en 1894, d’un recueil de nouvelles « modernistes » de Ricardo Fernandez Guardia (1867-1950), Hojarasca. Quatre ans plus tard, paraissait la réponse nationaliste, avec les nouvelles de Carlos Gagini (1865-1925), Chamarasca. Les deux recueils présentent des personnages peu représentés jusque-là ; différents du paysan, provenant de couches sociales moyennes et supérieures, ils se déplacent, toujours accompagnés, dans un espace caractéristique : la salle de danse, les salons, les réunions sociales et autres lieux de loisir. Mais, malgré cette ouverture à de nouvelles ambiances, le familier et le spécifique continuent de s’affirmer.
L’œuvre qui réussit le plus à représenter l’image d’un modèle de nation est peut-être celle de « Magon » (Manuel Gonzalez Zeledon 1864-1936). Une de ses nouvelles les plus connues, « La Propia » , défend la famille patriarcale et ses valeurs, censure, par conséquent, le comportement qui désagrège le noyau familial et punit pour cette raison le personnage du patriarche.
Les premières remises en question
Une des premières failles de l’image nationale apparaît dans une œuvre presque contemporaine des œuvres déjà mentionnées : El moto (1900) de Joaquin Garcia Monge (1881-1958). Considéré comme le premier roman de la littérature costaricienne – pour sa date de publication comme pour la présentation privilégiée de l’être national, du paysan, et des habitudes d’une époque –, ce roman de Garcia Monge confronte le protagoniste avec les différentes figures paternelles, au-delà d’une opposition de générations, et se rapproche de la mise en question naissante de l’autorité des caciques.
La littérature comme instrument de protestation sociale trouve un remarquable représentant chez Carmen Lyra (pseudonyme de Maria Isabel Carvajal, 1888-1949). Son œuvre évolue du « modernisme » et de la critique sentimentale, à l’écriture de dénonciation ; les quatre nouvelles de Bananos y hombres (1931), un des premiers textes à traiter du sujet des compagnies bananières, construisent un personnage type, symbole de la destinée collective d’un secteur social, les femmes dans les plantations bananières par exemple.
Entre 1917 et 1919, paraissent des livres de Garcia Monge, de Carmen Lyra, de Luis Dobles Segreda (1889-1957) et de Romulo Tovar (1883-1967) qui se font l’écho d’une autre tendance, critique de cette génération. Dans ces œuvres, les personnages sont vus de l’intérieur, ils apparaissent comme des êtres immergés dans la tragédie quotidienne et non plus seulement comme des individus pittoresques. L’approche générale oscille donc entre le besoin de dénoncer les problèmes sociaux et une perspective sentimentale.
Le tableau idyllique de la nation, ébauché dans les textes littéraires, historiques et politiques, se développe, avec les années, un peu au hasard. La représentation bucolique et pacifique d’un Costa Rica limité au territoire de San José et à sa vallée centrale, habité par une communauté de propriétaires laborieux, est contestée, de manière plus évidente, dans l’essai. Les essayistes des premières décennies du XXe siècle critiquent vivement l’idée d’un monde harmonieux et fermé, étranger à l’hétérogénéité et rejetant tout élément perturbateur. Leurs textes font état de problèmes propres à des domaines auparavant ignorés par la littérature costaricienne ; ils élargissent ainsi le concept de nation à d’autres territoires et champs sociaux. En outre, ils critiquent ouvertement les mythes qui, à travers le discours, répètent en l’expliquant l’image idyllique. Ce sont les essais d’Omar Dengo (1888-1928), de Mario Sancho (1889-1948), de Vicente Sáenz (1896-1963) et de Joaquin Garcia Monge, qui entreprennent au début du siècle de critiquer systématiquement l’identité nationale et les représentations d’un espace social et culturel costaricien. Les essais d’Omar Dengo, qui constituent une première tentative de disputer des prérogatives du discours officiel, se réfèrent constamment aux mythes et aux stéréotypes propres à l’opinion publique nationale. Ceux de Mario Sancho expriment la nostalgie des valeurs perdues de la société costaricienne, position née du désenchantement devant la réalité du moment, que l’essayiste oppose à un monde idéal, situé dans le passé. Dans l’essai de Vicente Sáenz, la critique de la société commence par celle du discours officiel, en particulier du discours historique. Son but est d’offrir une interprétation alternative des faits historiques. Garcia Monge, quant à lui, propose une définition de la patrie qui s’oppose au racisme ou au nationalisme ; il la présente comme un principe spirituel ou un état de culture. Dans la même veine, il publie la revue Repertorio Americano, entre 1919 et 1958, qui joue à l’époque un rôle culturel essentiel au niveau continental, avec ses 1186 numéros, répartis en 50 volumes. On y lisait des articles sur des écrivains, les impressions au sujet d’autres journaux, des poésies, des essais, et des comptes rendus de livres. L’objectif majeur était didactique et centré sur l’engagement populaire des intellectuels mentionnés. Garcia Monge concevait le journalisme comme un outil au service d’idées et d’idéaux pour le bien commun. Pour lui, un journal devait éduquer le citoyen et suivre comme orientation la véracité, l’honnêteté et l’impartialité non la neutralité.
L’espace national : le théâtre
Le paysage national est un concept qui fait appel au lecteur en tant que citoyen d’un pays qu’il partage avec d’autres et qui se déploie devant lui comme un décor familier. Le lecteur se reconnaît dans la nature prodigue, dans les montagnes et le ciel, qu’on lui présente avec l’évidence du déjà vu. Le sentiment d’appartenance à un territoire, à un lieu unique, propre et différent, contribue aussi à la cohésion de la communauté nationale.
La prose narrative et le théâtre costariciens ont élu un ou deux espaces majeurs, communs à toutes les littératures du continent et dont l’évolution, tout le long de ce siècle, est inextricablement liée à l’image de ce qui est « national » : d’un côté, il y a l’opposition entre la campagne et la ville, et, d’un autre, la maison familiale. Depuis ses débuts, le théâtre a pour décor le salon de la maison – les comédies de Gagini (1890), Magdalena (1902) de Fernandez Guardia –, lieu des rencontres déterminantes. Autour de 1914, avec El combate d’Eduardo Calsamiglia (1880-1918), le salon est remplacé par le bureau d’études, le cabinet du médecin ou de l’avocat. C’est ainsi que le monde du travail, avec ses personnages, entre en scène, porteur de l’éthique puritaine et généralement séparé du monde du loisir et du plaisir. Ailleurs, si le prestige social est de mise, le salon est remplacé par la salle de bal ou de fête, décor préféré du théâtre de José Fabio Garnier (1884-1956), le salon aristocratique, le salon de la courtisane ou encore le cabinet des rendez-vous amoureux, espace privé où règnent le luxe ou la beauté. Depuis le salon, le texte rejette ou inclut les personnages en tant que représentants des différents secteurs sociaux. Les personnages du peuple y entrent d’habitude comme domestiques ; mais leur incursion – c’est le cas de Maria del Rosario (1906), de Daniel Urena (1876-1932) – peut être aussi perçue comme transgression à une norme, intrusion en un lieu interdit.
L’inversion de l’image nationale
À l’opposé de l’image idyllique de la nation comme ensemble d’heureuses familles rurales, surgit une œuvre remarquable par sa force critique. Il s’agit de El Jaul (1937) de Max Jiménez (1900-1947), qui remplace la vision idéalisée de la nature – une nature prodigue, comme dans les tableaux de la campagne – par une stylisation négative de l’espace, une peinture de la mort et la transformation du paysage harmonieux en un enfer pluvieux. L’image de la famille, une des préférées de la prose narrative costaricienne, disparaît presque en totalité, et ce qui reste, loin des allusions à la paix et au travail, est encadré par la violence et la concurrence hostile.
Carlos Salazar Herrera (1906-1980) publie dans des journaux et des revues des nouvelles courtes, illustrées de ses propres gravures, petits « tableaux » dont les sujets sont l’homme et le paysage costariciens. Dans les Cuentos de angustias y paisajes (1947), le paysage national décrit s’étend de la côte à la montagne, et le texte porte une attention particulière à la langue. Le propos assimile, sous cette visée esthétisante, une forte conscience esthétique et littéraire.
Le voyage dans l’inexploré
Avec la « génération quarante » ou « néoréaliste », disparaît définitivement le ton nostalgique emprunté pour parler du monde des grands-parents ; tandis que les romans des années 1940 donnaient à la nature de l’importance sans soulever de conflits possibles entre elle et les personnages, le néoréalisme, lui, la perçoit surtout dans sa dimension sociale : l’« hacienda » du Guanacaste, au nord-ouest du pays, comme dans Manglar (1947) de Joaquín Gutiérrez (1918) ; la côte atlantique et ses bananiers avec Mamita Yunai (1941) de Carlos Luis Fallas (1909-1966), Puerto Limón (1950) et Murámonos, Federico (1973) de Gutiérrez ; le travail pionnier dans la forêt avec Juan Varela (1939) de Adolfo Herrera García (1914-1975) et El sitio de las abras (1950) de Fabián Dobles (1918-1997). Dans Murámonos, Federico, par exemple, non seulement la traditionnelle opposition entre la vallée centrale et le reste du pays est relatée, mais encore les espaces se multiplient, se rapprochent des individus et l’espace national prend d’autres valeurs devant la menace du pouvoir étranger. Le roman traduit l’ouverture, notamment à d’autres cultures, et l’acceptation d’espaces marginalisés de la littérature nationale. Les romans de Gutiérrez abordent d’autres aspects du nationalisme, ceux qui supposent le renforcement d’une identité basée sur la dignité et la défense de l’intégrité territoriale et culturelle.
De la même génération d’écrivains néoréalistes, Yolanda Oreamuno (1916-1956), dans La ruta de su evasion, traite du manque de communication entre les membres d’une même famille ; l’image est cette fois celle d’un groupe qui se débat dans de violents antagonismes. Ainsi, l’œuvre fait indirectement référence à une réalité sociale violente et s’attaque à un stéréotype.
La ville et la solitude
Dans les années 1960, interviennent des ruptures fondamentales, surtout dans le roman. L’œuvre qui présente le mieux ces transformations est celle de Carmen Naranjo (1930), chez qui la réalité extérieure devient agressive ou absorbante : les situations de solitude dominent, tout comme l’isolement, l’impuissance, la sensation d’enfermement et d’angoisse. Le personnage se sent souvent marginalisé : le regard des autres lui renvoie l’image d’un être différent qui n’aurait pas droit au bonheur. Le désenchantement à l’égard d’un monde menacé par le désordre et le non-sens caractérise cette génération. Dès lors, le monde cesse d’être un lieu tranquille.
Dans le roman Ceremonia de casta (1976) de Samuel Rovinski (1932), qui exprime la volonté du patriarche Matias de maintenir un ordre, la famille se présente comme un microcosme de la société, de telle sorte que la crise familiale devient une allégorie de la crise générale de la société bourgeoise.
La relation entre la maison et la famille est présente dans plusieurs œuvres de Daniel Gallegos (1930). Dans La casa (1984), la maison est, pour ses habitants, une sorte de prison dominée par la figure de la mère, espace familial qui empêche l’indépendance et le bonheur de ses membres. Dans El séptimo círculo (1993), la maison devient la scène d’un violent affrontement entre les générations et cesse d’être un refuge. Le pays, cette « patrie difficile », espace aimé mais étouffant, société qui suscite le silence, la moquerie, l’indifférence pour maintenir dans l’exil ses meilleures voix : telle est la complainte amère d’un autre roman du même auteur, El pasado es un extraño país (1993). Pour le narrateur, le Costa Rica est un pays étrange, étranger : tout en étant costaricien, il sent que la patrie ne lui appartient plus ni comme espace ni comme histoire.
La recherche historique de l’identité
L’école littéraire qui va suivre se caractérise en bonne partie par la recherche d’une identité, personnelle, nationale ou continentale. Cette préoccupation se traduit dans l’intérêt porté à la question du temps. Las estirpes de Montánchez (1993), de Fernando Durán Ayanegui, essaie de cerner l’histoire continentale, depuis la conquête espagnole jusqu’à aujourd’hui. L’incorporation de données historiques et géographiques se fait par le biais de procédés narratifs originaux, comme le mélange des différentes temporalités de plusieurs villes latino-américaines connues, dans une mosaïque régionale bigarrée.
Le roman qui semble le mieux refléter la réflexion sur l’identité liée à l’intérêt historiographique est Asalto al paraíso (1992) de Tatiana Lobo. Il relate le processus d’expansion territoriale ou de domination de l’Espagne en Amérique, la conquête et la colonisation. Les événements se situent entre 1700 et 1710, et racontent les aventures d’un Espagnol qui arrive dans ces contrées, fuyant l’Inquisition. À la différence de celui-ci, un autre personnage, Pablo ou Pa-bru Presbere, leader de l’insurrection des indigènes du sud du pays, assumera pleinement sa destinée, avec toutes ses conséquences, même la mort.
Quelques-unes des œuvres d’Alfonso Chase structurent la temporalité d’une autre manière : dans le roman Juegos furtivos (1968), par exemple, en plus de la référence à plusieurs épisodes de l’histoire nationale, chaque souvenir se présente comme un fil qui conduit à un autre, et le personnage construit ainsi pas à pas sa biographie et trouve son identité.
Pèlerins et vagabonds
Malgré le décalage entre les sujets traités et le monde, la littérature se veut une dénonciation des maux sociaux ou une tentative d’explication qui révèle une certaine confiance dans le pouvoir de l’écriture, dans la possibilité qu’offre la littérature de communiquer. Une telle assurance est momentanée, elle va peu à peu disparaître dans les œuvres des écrivains plus récents, dont les personnages errent dans un monde où ils ne réussissent pas à s’intégrer. Non seulement la réalité extérieure, monde hostile, est incompréhensible, mais elle est un cauchemar, un labyrinthe sans issue où la seule certitude est la mort. Dominent des personnages de vaincus ; la forme fondamentale de relation sociale est la violence, dont on ne trouve pas l’origine ; les questions vitales n’ont pas de réponse.
Quelques titres mettent en lumière la problématique de la solitude et le manque de communication : La cigarra autista (1992) de Linda Berrón, et Esa orilla sin nadie (1988) de Hugo Rivas, histoires d’êtres solitaires et de vagabonds, qu’on retrouve également chez Rodrigo Soto dans son roman La estrategia de la araña (1985). En général, le rapport entre les personnages se décline plutôt en termes négatifs : violence, folie, meurtres, suicides. Même la sexualité, en tant qu’expérience totale de communication avec autrui, paraît irréalisable.
Les individus ne sont pas les seuls à être séparés de leur contexte ; cette littérature illustre l’érosion croissante de la capacité d’expression de la parole littéraire dont les multiples formes entrent en crise : en tant que relation avec autrui dans le dialogue amoureux, en tant qu’harmonie avec les semblables dans l’utopie politique. Mais, en plus, on s’interroge sur la littérature elle-même : de là l’hermétisme de quelques nouvelles de Carlos Cortés où domine le manque de communication entre l’individu et les autres. La compréhension devient difficile, ce qui pose au lecteur le défi d’une participation significative quand un même événement est raconté à partir de points de vue différents, ou quand le narrateur évite délibérément certaines parties de l’histoire qu’il raconte. Encendiendo un cigarrillo con la punta del otro (1985) et Mujeres divinas (1994) mettent ainsi en doute la notion de la littérature comme œuvre d’art achevée.
L’hostilité du monde envers l’individu et l’incapacité de celui-ci à en cerner la cause expliquent la présence de personnages en situation d’échec, de solitaires qui, incapables de trouver une solution à leurs difficultés, ne peuvent que faire appel à la violence comme moyen d’interaction sociale. Ont disparu les frontières de l’extériorité et de l’intériorité. L’une des conséquences pour le sujet est la nouvelle place attribuée au pouvoir : on ne peut plus le trouver en dehors de l’individu, il réside aussi à l’intérieur de chacun, et par conséquent la destruction de celui-ci équivaut à la destruction de celui-là.
Quelques romans illustrent toutefois la croyance en la possibilité de décrire le monde extérieur, le besoin d’en dénoncer les maux, c’est-à-dire d’écrire, dans le but de transformer. Des œuvres en témoignent, comme María la noche (1985) de Anacristina Rossi, Única mirando al mar (1993) – traduit en français sous le titre de Unica ou la vie recyclée –, Los peor (1996) de Fernando Contreras, El Emperador Tertuliano y la legión de los superlimpios (1992) et Vamos para Panamá (1997) de Rodolfo Arias. Dans le roman de Rossi se devine encore un espoir de communication avec autrui, surtout sur le plan érotique ; et l’idée de l’écriture littéraire, comme moyen de dénonciation, demeure dans Unica ou la vie recyclée de Fernando Contreras, notamment avec un discours qui tient de l’essai à la fin du texte.
En survol
Dans la littérature costaricienne, la constitution de l’image nationale, vers la fin du XIXe siècle, suit un parcours presque parallèle à celui des premières remises en question ; avec El moto de Joaquin Garcia Monge en 1900 et de façon plus évidente vers 1930, ces indices commencent à se préciser. Le roman, le théâtre et l’essai des décennies 1960 et 1970 révèlent déjà ouvertement, dans la crise familiale, celle de la nation. La construction de l’espace citadin suit un mouvement, qui va des tableaux insistant sur les aspects connus et familiers jusqu’au surgissement d’un espace anonyme, indifférent ou menaçant.
À travers la métaphore de la famille, le roman a réussi, depuis ses débuts, à faire la critique de l’autorité paternelle et du pouvoir patriarcal, révélatrice de l’évolution de la place du pouvoir.
Depuis le monde familial et souriant des textes de Magon, il est donc évident que beaucoup d’années se sont écoulées ; et même si, dans les œuvres littéraires, ce processus semble être vécu de façon douloureuse, triste et désabusée, il est probable que les voyages, vers l’extérieur et vers l’intérieur, aient été nécessaires pour en arriver à quitter le village, pour ouvrir les frontières.
Margarita Rojas G. est professeure et chercheuse à l’Université nationale du Costa Rica. Auteure de nombreuses publications, elle a reçu deux fois le Prix national de l’essai.