Extrait du recueil Amédé, à paraître aux éditions Perce-Neige en 2010.
PROLOGUE
l’Histoire a braqué dans la nuit
un soir de fond de logis
j’étions assis
j’avions brassé le fudge
racommodé mitaines et bas
piqué et repiqué coton
en falaise, en horizon
jusqu’aux quatre mâts d’une couverte
et la soif nous prit
de quoi de fort cte soir-là
une soif d’eau de lune
marée montante
je bure jusqu’à caler les bottes
et c’est du fond de la cale que ça venit
un son comme une pluie
fine
comme une poussière de loin
oreilles creux de la mer de la coquille
un braquement
une chaleur
une pesanteur
du sable trempe entre les orteils
et j’étions pus dans le logis
j’étions derrière les rideaux
dans les veines de la nuit
j’étions les yeux d’une tempête qui s’en venait vite
qui montait
qui voulait
qui virait
et en virant, plus forte
jusqu’au galop
un champ de bêtes pris loose
à faire et refaire le cercle de la terre
à battre le cœur en quatre
en fer jusqu’au feu
et les chevaux et la pluie et la terre entière
comme la fin des temps
comme si en dehors du temps
et les cris d’hommes et la montée du sang
et la rondeur et le troupeau et la montagne
et toute la misère du monde
et la porte rouvrit
la goule de baleine s’ouvrit comme un port
ils havrirent
une présence
des pas de bêtes à deux pattes
des voix d’hommes en rage
une dispute
et un cri
un cri
et aussi vite que ça avait monté
le vent et la pluie et les chevaux et toute la misère du monde
en un cri
et ça arrêtit
l’Histoire a braqué dans la nuit
dans la plus profonde des nuits
dans la sueur de l’attente ronde comme une goutte
qui se nomme point, qui se voit point
parce que t’es trop pris à grouiller dedans
trop pris par sa chaleur
par son temps qui se fige point
l’Histoire a braqué dans la nuit
dans le cri de l’homme sans nom et sans corps
dans le cri comme la mesure
de quatre murs aux vitres rouvertes grandes
pour laisser flotter rideaux comme voiles
comme l’été et le sel
et tout ce qui veut faire la paix dans le monde
déchiré
l’Histoire a braqué dans la nuit
dans la sueur de mon écoute
dans l’eau de lune forte, si forte
dans ma marche pieds nus à gobiller
pris dans le cri
pris dans le son
partie
comme on quitte trouver
tout ça qui reste
Georgette LeBlanc est née en 1977 à Chicaben (Pointe-de-l’Église) en Nouvelle-Écosse. Alma, son premier recueil, écrit en langue acadienne de la Baie Sainte-Marie, a obtenu les prix Félix-Leclerc et Antonine-Maillet’Acadie Vie en 2007. Succès exceptionnel en poésie, Alma a fait l’objet de trois tirages chez Perce-Neige.