Le personnage de Merlin, rattaché essentiellement à la tradition bretonne, ne serait pas historiquement originaire de la Bretagne armoricaine mais du royaume de Strathclyde dans les Lowlands d’Écosse où les Romains avaient facilité l’installation d’une colonie bretonne qui leur servait de rempart contre les Pictes.
Au VIe siècle, la bataille d’Arderyd (aujourd’hui Arthuret) opposa deux clans bretons. Le chef de guerre (plutôt qu’un véritable roi) Gwenddoleu ayant trouvé la mort, le barde Merlin (Myrrdhyn en gallois, Merlinus en latin), dont Gwenddoleu était le maître, se serait retiré dans la forêt de Calédon (Écosse).
Au cours des siècles, la réalité historique s’estompant, se sont progressivement forgés les éléments de la légende. Ils ont circulé oralement jusqu’au jour où un auteur a entrepris de les compiler et de les mettre par écrit. On retrouve des traces des traditions orales dans des textes gallois reprenant des traditions plus anciennes. Un court poème comme Afallenau (les pommes) raconte l’histoire de Myrrdhyn, chef militaire ou barde devenu fou.
Merlin, personnage historique du VIe siècle, ne fait véritablement son apparition dans la littérature qu’au milieu du XIIe siècle dans trois textes latins en vers de Geoffroy de Monmouth, écrivain anglais de souche bretonne : Prophetiae Merlini (Les prophéties de Merlin), Vita Merlini (La vie de Merlin),et Historia Regum Britanniae (Histoire des rois de Bretagne).
Dans ces premiers textes, les données historiques se mêlent au folklore. Merlin y est présenté comme un roi gallois qui, après une bataille particulièrement sanglante, serait devenu ermite ; il vit dans une forêt du sud de l’Écosse où sa sœur Ganieda, épouse du roi Rodarcus, continue de veiller sur lui. Le personnage combine plusieurs aspects : « fou du bois », observateur des astres, prophète qui développe ses dons au contact de la nature. Il apparaît chevauchant un cerf ou accompagné d’un loup.
L’Histoire des rois de Bretagne l’incorpore déjà au monde arthurien (ensemble des textes consacrés au roi Arthur et aux chevaliers de la Table Ronde) et donne au personnage ses principales caractéristiques. Enfant sans père engendré par un démon en la fille du roi des Démètes au Pays de Galles, Merlin est prématurément doué de parole et donne des leçons aux mages. Il prophétise les malheurs de la Bretagne et explique au roi Vertigier le secret de la lutte des deux dragons qui empêchent que se réalise son projet d’édification d’une tour. Protecteur du roi Ambrosius et de son frère Uter, il leur demande d’aller chercher à la Chaussée des Géants, en Irlande, des pierres monumentales et de les dresser dans la plaine de Salisbury où sont morts 400 chefs bretons massacrés par les Saxons. (Il s’agit du monument mégalithique de Stonehenge.) Favorisant le mariage d’Uter et d’Ygerne, il annonce enfin la venue d’Arthur et disparaît après sa naissance.
Ce roman a été très librement traduit en français par Wace, écrivain normand, sous le titre de Roman de Brut (des Bretons). Il constitue la source principale du Roman de Merlin, première œuvre en langue vulgaire spécifiquement consacrée à Merlin, rédigée au début du XIIIe siècle par Robert de Boron, seigneur de la région de Montbéliard.
Merlin serait par sa naissance une réplique démoniaque du Christ, engendré dans une vierge par l’Esprit du mal afin de rétablir parmi les hommes la loi infernale. Grâce à la piété maternelle et à l’assistance d’un saint abbé Blaise, Merlin échappe finalement au Démon. Comme Jésus au Temple, il donne des leçons aux prêtres et aux juges. Se métamorphosant en enfant, en vieillard, en repoussant berger, il assiste les rois bretons Pandragon et Uter dans leur lutte contre les Saxons. Il contribue par sa ruse à la conception d’Arthur, fils bâtard du roi Uter et de la reine Ygerne, laquelle n’était pas encore veuve caractéristiques dans les principaux textes du cycle du Graal. Le Lancelot en prose, œuvre centrale du cycle arthurien, ajoute l’épisode des amours de Merlin et de Viviane. Pour elle, Merlin construit dans la forêt de Brocéliande le château invisible dans lequel elle élève Lancelot. Usant des pouvoirs magique qu’il lui a transmis, elle enferme l’enchanteur dans une prison invisible. Dans le Merlin-Huth (du nom du propriétaire du manuscrit au moment de l’édition du texte en 1886), Viviane « entombe » Merlin, l’enterrant vivant, coincé sous une grosse pierre qu’il ne peut soulever (dolmen appelé tombeau de Merlin qu’on peut voir en forêt de Brocéliande). Cette fin fut reprise au XVe siècle en Angleterre par Sir Thomas Malory dans le Morte d’Arthur. La dame se nomme alors Nimue et non Viviane et coince l’enchanteur sous un rocher.
Prisonnier dans son château invisible, dans un tombeau ou sous un gros rocher, Merlin n’est pas disparu pour autant. Avec ces textes du Moyen Âge, il est définitivement entré dans notre imaginaire et continue d’être une source d’inspiration et de méditation qui échappe au temps.
Références principales : Jean Markale, Merlin l’enchanteur, « Espace, libres », Albin Michel, Paris, 1992 ; Alexandre Micha, préface à Robert de Boron, Merlin, roman du XIIIe siècle, traduit et annoté, Garnier Flammarion, 1994 et Étude sur !e Merlin » de Robert de Boron,Genève, Droz, 1980.