« Comme l’Europe et l’Asie ont reçu des noms de femme, je ne vois aucune raison pour ne pas appeler cette autre partie Amérige, c’est-à-dire d’Amerigo, ou America , d’après l’homme sagace qui l’a découverte », écrit au XVIe siècle le chanoine Martin Waldseemüller, animateur du Gymnase vosgien, académie savante de Saint-Dié (France). Le duc de Lorraine René II (1451-1508) venait de transmettre au Gymnase quatre lettres dans lesquelles un certain Amerigo Vespucci, navigateur italien inconnu, narrait son voyage aux « Indes occidentales », déjà découvertes en vérité par Christophe Colomb.
Il faut appeler un chat un chat… et l’Amérique Amérique, puisque Colomb fut en disgrâce !
Les membres de ce cénacle avaient donc entrepris d’éditer la Géographie du Grec Ptolémée en utilisant l’imprimerie, nouveau procédé dont Strasbourg, avec Saint-Dié, avait la spécialité. Il fallait illustrer l’ouvrage d’une planisphère. Premier problème : il s’agissait de combler l’immense espace laissé vide entre l’Europe et l’Inde. S’inspirant des informations de Vespucci, les géographes-cartographes dessinèrent sommairement les contours du nouveau continent. Mais, second problème, il leur fallait baptiser cette « terre ». Visionnaires, ils eurent l’intelligence d’admettre que le nom d’Indes occidentales ne convenait pas ; car une confusion était possible avec les « Indes »… Néanmoins, ils firent une erreur historique en ignorant le patronyme de Colomb, tombé en disgrâce et dont le nom fut finalement retenu pour désigner la Colombie ; ils préférèrent choisir le prénom du navigateur italien Amerigo Vespucci.
La fameuse Introduction à la cosmographie de Ptolémée de Martin Waldseemüller parut à Saint-Dié le 25 avril 1507 et fut réimprimée à plusieurs reprises. Le mot America supplanta définitivement celui d’Indes occidentales mais le nom Indiens continua toutefois de qualifier les autochtones du nouveau continent, ce qui n’allait pas manquer d’occasionner un nouvel imbroglio pour désigner les habitants de l’Inde.
La confusion n’allait pas tarder à prendre d’autres formes : le mot Amérique pour qualifier les seuls États-Unis ou encore celui d’Américains pour désigner leurs citoyens, devaient être pareillement sources d’erreurs…
Si l’adjectif américain se rapporte initialement aux « Indiens » et aux aspects autochtones du continent, d’Amérique centrale dans un premier temps et méridionale dans un second, il qualifie ensuite les Indiens du Nord. Et si le mot Amérindien, emprunt à l’anglais des États-Unis amerindian, contraction de American Indian, ne remporte pas l’adhésion de tous, il a du moins le mérite d’être explicite.
C’est seulement après l’Indépendance des États-Unis que le mot américain, d’abord comme nom, puis comme adjectif, s’applique à ce pays seul, prenant rapidement le sens de « ressortissant des États-Unis ». Ce nom donne beaucoup plus tard deux dérivés argotiques, Amerlo ou Amerloque et, par aphérèse, Ricain, Ricaine qui sont devenus familiers.
C’est à y perdre son latin !
Toutefois, un mot récent a le mérite de supprimer toute ambiguïté, même si son emploi est encore trop peu courant ou parfois même jugé très imparfait par certains linguistes : étasunien(ne) ou états-unien(ne). Car enfin, si l’on parle d’un Nord-américain, il peut s’agir d’un Canadien et si l’on parle d’un Américain, il peut s’agir d’un habitant d’Amérique du Sud, du Nord, centrale… et ce qui se conçoit bien, dit-on, s’énonce clairement ! Militons donc pour l’emploi de ce « barbarisme »… intellig(ent)ible.
Ajoutons, pour la petite histoire, que l’un des emplois connus les plus anciens du mot américain, substantivé, avait d’abord concerné une maladie vénérienne (l’amériquain) sens abandonné au XVIIe siècle, même si l’on évoque encore une lèpre américaine en 1780.
L’influence grandissante des États-Unis a engendré divers emplois, locutions et allusions. La locution avoir l’œil américain signifie le regard perçant des Indiens, thème popularisé au XIXe siècle grâce aux traductions de Fenimore Cooper notamment.
On parle de grog américain, de chemin de fer américain « tramway à chevaux » ; sont encore en usage bar américain, vedette américaine, et au cinéma nuit américaine (prise d’une scène nocturne le jour). À l’américaine se dit notamment dans vol à l’américaine, pour qualifier le compère qui se fait passer pour un Américain dans le but d’escroquer un crédule ; cet emploi a disparu. En revanche, sont restés vivants homard à l’américaine – à l’armoricaine est postérieur -, course (cycliste) à l’américaine, enchères à l’américaine. La viande de bSuf crue hachée et assaisonnée (en français de France, steak tartare !) est appelée en français de Belgique filet américain. Les variantes les plus usuelles, au féminin, sont pour « voiture américaine » (attesté mil. XXe siècle, pour les automobiles ; milieu XIXe siècle, pour désigner une voiture à cheval légère à quatre roues) et « cigarette américaine ». L’américain désigne aussi la langue, anglaise, mais parlée aux États-Unis.
Plusieurs dérivés (américaniser, employé par Baudelaire, d’où américanisation) ne concernent encore en français que les États-Unis. Américanisme, d’abord « admiration pour l’Amérique », et surtout américaniste, peuvent s’appliquer au continent tout entier et notamment aux études indiennes et précolombiennes. Le nom américaniste a initialement désigné un partisan des coutumes américaines, avant de s’appliquer au spécialiste de l’Amérique.
Si indo-américain qualifie uniquement les peuples indiens du continent, hispano-américain désigne les nations qui ont la pratique commune de la langue espagnole ; le Brésil est donc exclu d’une telle entité. La locution ibéro-américain désigne les peuples américains qui ont fait partie des couronnes d’Espagne ou du Portugal. Mais il y là encore risque de confusion puisque Ibérie désigna également un pays asiatique dans l’Antiquité. Nombreux sont ceux qui ne se reconnaissent pas dans cette définition et lui préfèrent généralement latino-américain. La littérature latino-américaine serait donc la littérature d’Amérique écrite dans une des trois langues d’origine latine parlées dans l’hémisphère, c’est-à-dire écrite en espagnol, en portugais ou en français. La littérature québécoise est donc une littérature latino-américaine.
Cette petite rétrospective légitimait, sinon excusait, le plan choisi pour ce dossier spécial consacré à la littérature des Amériques et qui se présente ainsi en quatre parties : Amérique du Nord, Amérique du Sud, Amérique centrale… et Caraïbe ; encore que, là encore, je devine comme une « objection ». La Caraïbe, nous dit le dictionnaire, est une région qui regroupe l’ensemble des Antilles et une partie des terres bordant la mer du même nom : le Prix Nobel de littérature Gabriel García Márquez, né sur la côte colombienne, est légitimement en droit de se réclamer Caribéen. Vous le trouverez néanmoins sous le chapitre « Colombie »… À y perdre son latin vous dis-je !
(sources : Dictionnaire historique de la langue française, Le Robert, sous la direction d’Alain Rey).
UN NOUVEAU LANGAGE OU UNE LANGUE NOUVELLE ?
Le Sommet des Amériques (Québec, printemps 2001) a fait couler beaucoup d’encre. Le phénomène que l’on nomme « mondialisation » – ou si l’on privilégie l’anglicisme « globalisation » – a généré selon les spécialistes (sociologues et linguistes) un ensemble de vocables d’un genre nouveau qui mettent du coup au rancart des termes historiquement acquis de haute lutte. Flexibilité, gouvernance, employabilité, nouvelle économie, tolérance zéro, communautarisme, multiculturalisme sont dans toutes les bouches (ou presque) à défaut d’être déjà dans tous les esprits. « Comme les dominations de genre ou d’ethnie, l’impérialisme culturel est une violence symbolique qui s’appuie sur une relation de communication contrainte pour extorquer la soumission et dont la particularité consiste ici en ce qu’elle universalise les particularismes liés à une expérience historique singulière en les faisant méconnaître comme tels et reconnaître comme universels », écrivent deux sociologues réputés, Pierre Bourdieu, professeur au Collège de France et Loïc Wacquant, professeur à l’Université de Berkeley (Californie). Selon eux, « pour la première fois de l’histoire, un seul pays [les Etats-Unis] se trouve en position d’imposer son point de vue sur le monde au monde entier. »