La production littéraire des Indiens d’Amérique est un objet d’étude particulièrement vaste : il englobe en effet les territoires de toutes les civilisations amérindiennes, du grand Nord à la Terre de Feu.
Les politiques d’extermination systématique de la part des colonisateurs, et les phénomènes d’acculturation par la suite, ont anéanti à tout jamais les manifestations de la culture amérindienne. Si un mouvement relativement récent tente de divulguer les mythes, les contes et les coutumes ancestraux, il n’en est pas moins une ébauche de préservation fort tardive. Des travaux, entrepris par des ethnologues surtout, ont toutefois eu le mérite de recenser de précieux témoignages : citons en particulier Lévi-Strauss avec Mythologiques (Plon, 1967) ; Pierre Clastres, avec Le grand parler, mythes et chants sacrés des Indiens Guarani (Seuil, 1974) ; Tachca Ushte et Richard Erdoes, avec De mémoire indienne, La vie d’un Sioux voyant et guérisseur (Plon, 1977) ; Leslie Fiedler, avec Le retour du Peau-Rouge (Seuil, 1971) ; ou encore Theodora Kroeber avec Testament du dernier Indien sauvage de l’Amérique du Nord (Plon, 1968).
La grande majorité des littératures indiennes, souvent caractérisées par leur nature rituelle, sont toutefois, généralement, des littératures orales que se transmettent de génération en génération les membres de chaque ethnie, ce qui rend plus difficile encore, compte tenu de leur nombre, tout projet d’étude globale. Ce sont les chamans qui possèdent le plus souvent dans ces groupes la connaissance du passé sacré et des traditions immémoriales, conservant ainsi la mémoire collective de leurs peuples, dont les règles strictes de transmission, quoique orales, garantissent l’ intégrité.
Les seuls exemples d’écritures amérindiennes connus se trouvaient chez les Aztèques, les Mixtèques, les Mayas et les Zapothèques, mais les codex furent presque aussitôt détruits par les conquistadores ; quelques vestiges (chroniques historiques, de poèmes religieux ou épiques essentiellement) demeurent cependant.
Chaque tribu a ses épopées cosmogoniques dont les deux grands thèmes récurrents (communs à toutes les mythologies amérindiennes) sont l’animal totem et la paire de jumeaux divins. Les préoccupations religieuses inspirent fréquemment les littératures indiennes caractérisées par le symbolisme, un langage allégorique, qui s’accompagnent bien souvent de la chorégraphie ou de la musique, une sorte de mélopée.
On doit en particulier à Miguel Angel Asturias la traduction du fameux Popol Vuh, texte sacré des Mayas qui relate leur vision de la création du monde et narre l’histoire de leurs héros mythologiques, et à Ernesto Cardenal un vibrant Hommage aux Indiens d’Amérique (trad. par J. Jay, La Différence, 1989).
EXTRAIT
« Depuis quelques années, les Autochtones, au Canada comme ailleurs dans le monde, font entendre leur voix de façon de plus en plus pressante. L’Organisation des Nations Unies (ONU), qui décréta 1993 Année internationale des Autochtones, appuie leurs revendications, territoriales et culturelles ; l’opinion publique dans les anciens États colonisateurs est en leur faveur […] Parmi les nombreuses publications récentes sur le sujet, Nuit blanche a choisi d’en retenir quelques-unes qui reflètent bien l’impasse créée par les uns, qui disent aux Blancs qu’ils ont volé leurs terres, et les autres, qui affirment ne pas être des voleurs de territoires. Cependant, il faut bien se rendre à l’évidence : « Nous sommes là pour rester », a dit le juge Antonio Lamer en conclusion d’un jugement spectaculaire de la Cour suprême du Canada, en décembre 1997 […].
L’Amérindien dans la littérature
L’intérêt que suscite l’Autochtone ne se limite pas aux textes des juristes, anthropologues, sociologues. L’Indien apparaît fréquemment dans la littérature contemporaine : longtemps mise de côté, sa figure surgit de plus en plus souvent (rappelons seulement Cowboy, de Louis Hamelin, ou encore Sept lacs plus au nord, de Robert Lalonde), et pas uniquement dans la littérature québécoise. Il est important de noter que l’Indien se profile souvent à travers sa perception par le Blanc, qui est réinterprétée à son tour par les lecteurs. Un bon exemple à cet égard est la biographie Daniel Boone, vie et légende d’un pionnier américain de John Mack Faragher. La légende de ce pionnier (1734-1820) s’est établie très tôt : de The Mountain Muse (Daniel Bryan, 1813) au best-seller Biographical Memoir of Daniel Boone, the First settler of Kentucky (Timothy Flint, 1833), en passant par le Don Juan de Lord Byron, qui consacre sept strophes à Boone (1822). Mais c’est l’œuvre de James Fenimore Cooper qui rend l’hommage le plus vibrant – et le plus contestable – à ce colon : les romans The Pioniers (1823), The last of the Mohicans (1826), The Prairie (1827), The Pathfinder(1840) ou encore The Deerslayer (1841) se réfèrent tous à ce personnage nommé « Leatherstockings » (« Bas-de-cuir »), qui se transforme rapidement de philosophe de la nature sauvage et censeur de la civilisation en querelleur nourrissant une haine profonde contre l’Indien. C’est exactement ce qu’il fallait être au temps du président Andrew Jackson et à l’ère de l’expansion américaine vers l’Ouest. Même les travaux d’un historien sérieux de l’époque, Lyman Copeland Draper, qui a assemblé la plus grande documentation sur Boone, n’ont pas réussi à resituer la figure de ce coureur des bois, incapable de rester à la maison, réfractaire à quelque bonheur domestique que ce soit, au mercantilisme, et poursuivi sa vie durant par des créanciers. En réalité, Boone est un des rares explorateurs à aimer et à respecter l’Indien, parce que celui-ci fait partie de la nature. S’il aime cet autre moi, c’est parce qu’il admire la structure démocratique de la société indienne, ses valeurs – surtout la liberté qu’il y trouve –, toujours en opposition à la culture des Blancs, où il ne voit que trop souvent trahison, non-respect des conventions et des contrats entre gouvernements et Autochtones. Le culte voué à Boone a produit des excès assez amusants, comme le rapporte John Mack Faragher dans une anecdote : lors du transfert des restes de Boone en 1845 à la capitale du Kentucky, on fit un moulage du crâne de celui qui est considéré comme un des pères de l’Ouest américain. Cependant, ce moulage fut identifié, en 1983, comme étant celui d’un Noir. Situation plutôt cocasse dans un des États sudistes les plus racistes […] ».
« Images de l’Indien », article de Hans-Jürgen Greif, no 75, été 1999.
« Je le reconnais d’emblée, je ne connais pas grand-chose aux Indiens d’Amérique. Je ne parle pas ici de connaissances superficielles, des quelques notions d’histoire, de géographie ou d’ethnologie mâtinées de folklore glanées dans les livres, les films, particulièrement la littérature et le cinéma western dont j’ai la passion.
Non, je parle de l’Indien d’aujourd’hui, ou de l’Amérindien, comme on dit maintenant, qui habite, pas loin d’ici, sur le même territoire que moi, et dont les médias me renvoient de temps en temps une image virtuelle, déformée et tendancieuse, de déchéance : des réserves misérables jonchées de carcasses de voitures rouillées, l’alcoolisme, la pauvreté, la violence ; ou de révolte et de délinquance : crise d’Oka, Warriors maffieux, trafics illégaux. Rien de bien édifiant, quoi Heureusement, il y a la littérature qui, quand elle est authentique, sait sonder l’âme des peuples et communiquer au lecteur étranger une parcelle de la vie de l’autre dans sa singularité, sa différence et son humanité. Deux collections françaises sont entièrement consacrées aux Indiens d’Amérique et, chose rarissime, publient des romans. Les éditions du Rocher proposent la collection « Nuage rouge », dirigée par Olivier Delavault qui a retenu, entre autres, les œuvres romanesques de Frank Waters, Forrest Carter, N. Scott Momaday, tandis que les éditions Albin Michel nous offrent les romans de James Welch, Susan Power, Leslie Marmon Silko, dans la collection « Terre Indienne » dirigée par Francis Geffard. »
« Paroles d’homme rouge ou l’étranger chez les amers Indiens », article de Norbert Spehner, no 65, hiver 1996-1997.
Voir aussi : « Entre le légendaire Amérindien et le mythe de l’histoire », par Guildo Rousseau.