Huguette O’Neil s’acquitte du mandat que lui a confié son amie, peu avant sa mort en 1988. En s’attachant aux pas de la mère de huit enfants, ouvrière, syndicaliste, féministe, puis sénatrice, l’écrivaine raconte le destin d’une femme d’exception, mais aussi, à travers ses engagements, des chapitres de notre histoire. À la manière de Balzac, Huguette O’Neil décrit d’abord le contexte socioéconomique et culturel du milieu rural où naît Yvette Boucher en 1917 : Saint-Éleuthère de Kamouraska, qualifié de « pays de misère et de pauvreté ». La biographie en trois parties fait voir l’ascension de la femme entreprenante et déterminée : « La vie cachée », « La vie publique » et « La vie d’honorable ».
La jeune Yvette manifeste tôt le goût d’apprendre. Encouragée en cela par sa mère, elle va le plus loin possible pour une fille de sa condition, soit le cours complémentaire, l’équivalent d’une huitième année, qui lui permet d’enseigner. Son bonheur d’enseigner est de courte durée, car l’usage du temps interdit l’enseignement aux femmes mariées. Or, à 19 ans, Yvette épouse Benoît Rousseau. La jeune femme voit partir son mari chaque automne pour les chantiers forestiers où, cuisinier, il travaille en caressant le projet d’acheter une ferme. Yvette, elle, n’aime pas la vie de fermière et rêve de la vie urbaine, pour elle-même, mais surtout pour ses enfants qu’elle souhaite faire instruire. Car les enfants sont là, maintenant, huit en douze ans.
Son souhait se réalisera, paradoxalement grâce à la maladie invalidante de son mari, qui amène la famille à s’installer en ville, en Estrie, où Yvette a trouvé du travail à la Penman’s. Là commence sa vie publique : engagement syndical et social, vice-présidence à la CSN ; contribution à des organismes québécois de promotion des droits des femmes ; puis accession à la présidence du Comité consultatif canadien de la situation de la femme rattaché au ministre Marc Lalonde qui, en 1979, la recommande comme sénatrice.
Yvette Rousseau, formée à l’école du syndicalisme et du féminisme, fait le saut. Elle s’engage dans plusieurs comités du sénat, parcourt le pays et, à maintes occasions, voyage à l’étranger au sein de la délégation canadienne. En dépit de ses occupations, elle reste proche des siens, sans l’appui desquels elle n’aurait pu s’accomplir. Aussi meurt-elle à 71 ans avec le sentiment d’une vie réussie.