Ce petit livre, à la croisée des genres, est le prolongement d’une collaboration entre le musicologue Peter Szendy et le créateur Georges Aperghis. Szendy a été le co-librettiste de l’opéra d’Aperghis, Avis de tempête, récemment monté en France. On ne s’étonnera donc pas que l’opéra et le théâtre occupent une place cardinale dans la réflexion que mènent les deux auteurs. Le recto et le verso, c’est l’avers et l’envers du décor, la scène et les coulisses séparées par le lourd rideau de velours, mais aussi les deux textes intercalés dans l’ouvrage que leurs auteurs nous invitent à lire en inventant des passages entre l’un et l’autre. Entrer dans ce wonderland, serait-ce comme « entrer dans la musique, serait-ce d’emblée y rentrer, y pénétrer à plusieurs reprises, en repassant le pas de chaque porte »? L’écriture spéculaire de Peter Szendy et de Georges Aperghis nous convie à une lecture éblouissante et jubilatoire où l’on découvre, au gré d’une description de la Flûte enchantée mise en scène et filmée par Bergman, que la fiction recèle dans ses marges un monde aussi féérique que celui qu’elle donne à lire ou à entendre.
Mais, n’y a-t-il pas un paradoxe de parler d’une musique absolue (souveraine et autonome) en étant autant à l’écoute du langage et de sa propre capacité à nous transporter des sons aux mots, et inversement ? Au contraire, car la démonstration en acte d’Aperghis et Szendy révèle que « la plongée abyssale dans la langue, dans ses images et ses mots et ses sonorités, [fait] sortir de l’enclave ou de l’île langagière par le fond, pour passer de l’autre côté de la circonférence : dans le wonderland musical ». Pour nous, lecteurs de ce remarquable texte poétique et philosophique, « ce mouvement vertigineux d’une approche qui n’en finit pas, toujours recommencée » est la voie sacrée vers la jouissance.