Wapke, recueil dont le titre signifie « demain » en langue atikamekw, est composé de quatorze nouvelles d’anticipation où, sur fond d’écroulement de la civilisation et de retour aux usages ancestraux, onze autrices et trois auteurs autochtones y vont d’un vibrant commentaire social.
En plus de Michel Jean lui-même, six des quatorze cosignataires de ce volume avaient déjà participé au recueil Amun (c’est-à-dire « rassemblement ») que le célèbre journaliste et auteur de Kukum avait fait paraître en 2016 : Joséphine Bacon, Alyssa Jérôme, Natasha Kanapé Fontaine, Virginia Pésémapéo Bordeleau, Louis-Karl Picard-Sioui et Jean Sioui. Les nouveaux venus sont ou bien des auteurs reconnus (la poète Marie-Andrée Gill, la romancière J.D. Kurtness), des auteurs débutants (Katia Bacon, Cyndy Wylde) ou des personnalités actives dans d’autres domaines que la littérature (l’auteure-compositrice-interprète et réalisatrice Elisapie Isaac, l’ethnologue Isabelle Picard, l’actrice Janis Ottawa). À part Kurtness, personne n’avait vraiment touché à la science-fiction auparavant.
C’est d’ailleurs J.D. Kurtness, connue pour ses romans De vengeance (2017) et Aquariums (2019), qui signe la meilleure nouvelle du recueil, « Les saucisses ». Dans un futur dystopique, des millions d’êtres humains ont la possibilité de rester constamment branchés à une réalité virtuelle où tout le contenu de leur existence a été transféré. La narratrice s’occupe de ramasser leurs corps, morts ou expulsés, qu’elle appelle cyniquement « les saucisses ». Elle se fait accompagner dans cette tâche par Théo, un des rares trisomiques toujours vivants en cette époque où les parents préfèrent avorter quand s’annonce un enfant handicapé. Ce métier n’a rien d’une sinécure et la narratrice finit par s’avouer vaincue…
Si l’ensemble du recueil se lit avec plaisir, peu de nouvelles risquent d’impressionner les amateurs de science-fiction puisque les thèmes abordés (la fin de la civilisation, les désastres écologiques, le voyage temporel, parmi d’autres) tendent à reproduire un air connu. Mais l’anticipation n’est ici qu’un prétexte. L’essentiel, dans Wapke, tient dans la blessure laissée par la colonisation, la sédentarisation et la dépossession identitaire. C’est donc largement du présent et du passé que parlent ces visions de demain.