Bernard du Boucheron écrit superbement et ridiculise à merveille. Ironie racée, méticuleusement meurtrière, servie par une implacable maîtrise de la langue dans son plus tordu. Vue mer, c’est pour lui l’occasion d’épingler les sottises de l’espèce humaine à propos de l’océan, qu’il s’agisse de navigation, de pêche, de tourisme. Époques et décors se succéderont sans jamais freiner l’assaut verbal contre la bêtise, le camouflage, l’indécence des astuces politiques, religieuses et publicitaires. Au besoin, l’auteur espionnera un pétrolier dans le détroit d’Ormuz, à seule fin, peut-être, de dénoncer les déversements et quelques autres menues tricheries. Du Boucheron aura cruellement accompli sa mission quand disparaîtra la différence entre les mensonges du guide touristique et ce dont se contentaient l’homme de Cro-Magnon ou les premiers dégénérés du Cala Porcx.
Car, à l’époque où deux vents contraires répartissaient la pestilence entre les quartiers de Cala Porcx, « l’incivilité était devenue une règle de vie ». On veillait à vider les rapports humains et sociaux de toute politesse. Ceux qui tenaient lieu de notables arboraient des titres pompeux et imprécis : Prohomme, Qualificateur, Recteur… Un seul personnage, la belle et pure Almira, faisait l’objet d’une admiration unanime. Mais attention : Almira choisira comme époux le moins plausible candidat, puis le quittera parce que son hymen de cuir résiste à ses assauts. C’est elle ou sa réincarnation que l’on retrouvera dans d’autres âges du récit, avec une vertu adaptée aux temps récents.
Imbue de modernité, Cala Porcx régurgitera le jargon publicitaire. Du Boucheron y déverse sa démesure. Les débuts d’incendie deviennent des départs de feu, l’escouade anti-émeute une colonne de paisibilité sociale, l’embouteillage une simple pression touristique… Quand le touriste s’enquiert du sable promis par les dépliants, le promoteur se disculpe : « Ah, les dépliants. On ne peut jamais faire confiance aux maquettistes. Avec l’imagerie traitée par ordinateur… » Pas de quoi éloigner la faune touristique : « Tandis que les shorts à palmiers sautillaient vers la mer en se calcinant les pieds, les candidates au cancer de la peau grésillaient sur les galets, pile-face-pile comme des steaks ».
On rira assez peu. On sourira de la puissance et de l’agilité de l’écriture. Puis, on pensera à la mer et on s’inquiétera de ce qui a inspiré ce roman.