L’écrivaine et peintre Tove Jansson (1914-2001) est surtout connue grâce à ses livres illustrés pour enfants. Sa famille de gentils trolls qui ressemblent à des hippopotames, les Moumines, a envahi la planète par la traduction en plus de cinquante langues. Ses quelques livres pour adultes sont des recueils de sagesse et d’humanité.
La Finlandaise aurait, dit-on, toujours considéré comme ayant la même importance ses deux métiers d’écrivaine et de peintre. Suédophone, comme 6 % de la population locutrice de la deuxième langue officielle – après le finnois – du petit pays d’Europe du Nord dont elle vient, Tove Jansson a écrit Voyages sans bagages en 1987 ; ce recueil de nouvelles n’a été traduit en anglais qu’en 2010 sous le titre Travelling Light et pour la première fois dans sa version intégrale en français, en 2024.
Chacun des récits démontre à quel point Jansson maîtrisait les subtilités de la nouvelle. Âgée alors de 73 ans, elle était au sommet de son art, autant lorsqu’elle raconte la fuite en bateau du voyageur « sans bagages », justement : « [T]out était derrière moi, terminé, insignifiant, plus rien ni personne n’avait d’importance », que lorsqu’elle relate la rencontre de « La femme qui empruntait les souvenirs », soit le tête-à-tête entre celle qui, sans scrupules aucuns, s’approprie le passé de sa vieille amie et cette dernière, médusée.
Dans « Quatre-vingtième anniversaire », l’écrivaine présente avec humour l’aïeule qui « se considère [comme] facile à vivre et un parangon de largeur d’esprit, mais [qui] en réalité accable la famille de désirs modestes qui, par leur simplicité, peuvent devenir assez compliqués ». Et puis, faut-il détester ou apprécier le petit garçon moralisateur de « L’enfant de l’été », qui « aurait dû éveiller les instincts protecteurs les plus tendres chez les gens, tant s’en fallait » ?
Des vies entières déferlent dans Voyages sans bagages, en quelques pages bien écrites et bien traduites par Catherine Renaud.
Tove Jansson a été maintes fois récompensée ; elle a obtenu en 1966 le prix international Hans-Christian-Andersen, surnommé le petit prix Nobel de littérature, et en 2016, elle a été inscrite à titre posthume au Temple de la renommée Will Eisner, en compagnie des Schulz, Spiegelman, Hergé, Pratt, Goscinny et Uderzo.
Jansson a publié son premier Moumine en 1945 alors qu’elle était dans la jeune trentaine, en réaction aux moments difficiles que vivait son pays – voisin de la Russie – pendant la Deuxième Guerre mondiale. L’écrivain britannique Philip Pullman, apprécié universellement pour ses contes dont a été tiré entre autres le film La Boussole d’or (2007), aurait dit de Jansson « qu’elle était un génie ». Le film Tove, sorti en 2020, relate sa vie et sa liaison avec la metteuse en scène Vivica Aina Fanny von Frenckell Bandler.
Fair-play, le dernier roman de Tove Jansson, a été publié en 1989, mais n’a été traduit en français que trente ans plus tard (voir Nuit blanche, no 155).