Dans son poème « Séquences », Gaston Miron a inventé le magnifique néologisme « amironner », un mot-valise aussi évocateur que pertinent qui contient tout à la fois les termes « ami », « Miron » et « avironner ». Jean Royer, dont Miron fut le « mentor » et l’« ami intime », nous propose à son tour un Voyage en Mironie, un récit-journal au titre non moins magnifique, pour tracer le « portrait partiel et partial » de 12 des 30 années de leur compagnonnage littéraire. « Livre de la fidélité », comme le précise l’Avant-propos, et « livre de la fraternité », comme l’affiche l’éditeur (4e de couverture), le projet est accrocheur et l’invitation à pénétrer dans ladite Mironie ne peut laisser indifférent.
De fait, à travers le compte rendu et les enregistrements faits par Jean Royer de la « vie littéraire » des deux écrivains sur les routes de France et du Québec principalement, l’ouvrage amène le lecteur à une connaissance accrue de l’homme que fut Gaston Miron, poète, intellectuel, défenseur de la langue française et québécoise et militant indépendantiste. Toujours se dégage, en filigrane ou en clair, la figure généreuse, énergique et lucide de l’auteur de l’incontournable Homme rapaillé, avec son verbe haut ou ses inquiétudes plus retenues, en homme d’action décidé ou comme citoyen désabusé finissant par mourir de métastases au foie dont il dira avec une sérénité épouvantablement humoristique et ironique : « Ce sont des aigreurs post-référendaires ! » Livre attachant, certes, vu par ce bout de la lorgnette.
Un malaise s’installe cependant petit à petit au fil des pages lorsqu’on remarque la place envahissante que prend Jean Royer en Mironie. En rendant hommage à Gaston Miron, le compagnon perd peu d’occasions de se mettre lui-même en évidence, comme confident, éditeur de l’Hexagone, correcteur de L’homme rapaillé, écrivain apprécié par le poète… Tout, ou presque, est sans doute vrai, ou vraisemblable, mais la discrétion et la réserve ne semblent pas être les qualités dominantes de l’auteur du récit. Le « je » conquérant culmine à la fin avec l’énumération peu modeste des 38 titres des « principaux textes de Jean Royer sur Gaston Miron et son œuvre » et l’étalage des « chronologies croisées » des deux poètes devenus égaux en mérite et en importance. Pour un peu on se prendrait à évoquer la troisième fable du premier livre d’un certain Jean de La Fontaine… Cette sorte d’indécence s’ajoute de surcroît aux « quelques accrocs à la vérité » débusqués par Christian Desmeules dans son article au Devoir des 27 et 28 mars derniers concernant la décision des funérailles d’État de Gaston Miron, en 1996, et le départ de Royer lui-même de la direction de l’Hexagone, en 1998…