On ne saurait reprocher à l’auteure le lent cheminement de son récit, car là réside l’ironie de la question : le fait que la vie coule sans drame majeur et que les ingrédients prévisibles du bien-être se présentent aux heures dites, cela procure-t-il le bonheur ? Les (petites) explosions d’impatience ou de colère, il faut presque toutes les chercher dans les temps écoulés, car l’aujourd’hui s’articule autour d’un mari aux absences inévitables et aux retours agréables, d’un petit Nicolas curieux et caressant, d’un décor, meubles compris, imprégné de paix et de bon goût. Si le bonheur se confond avec le paisible va-et-vient des jours, oui, l’héroïne devrait être heureuse. Pourtant, quelque chose cloche, qui n’est peut-être pas quelque chose, mais une inerte placidité de l’existence, comme si la vie ne voulait pas en demander trop à certaines âmes.
La tentation se présente pourtant d’aller voir si le changement apporte davantage ou autre chose. Il suffit que paraisse, sous un prétexte futile, un séduisant musicien pour que ce qui semblait protégé par l’habitude et une affection apprivoisée se fendille de romantique façon. Mais, là encore, la vie revient vite à son cours un peu somnolent.
Je ne sais comment l’auteure aurait pu raconter plus nerveusement une existence qui, justement, place en parallèle et en contraste les composantes du bonheur et l’absence de vibrations. « Le vase où meurt cette verveine, disait Sully Prud’homme, d’un coup d’éventail fut fêlé / Le coup dut l’effleurer à peine / Aucun bruit ne l’a révélé. » Le roman ressemble à ce poème : c’est beau, terriblement plausible, sobrement insatisfaisant.