Et si tel ou tel événement anodin s’était produit ou non, à quoi aurait pu ressembler la suite de notre existence ? Une simple distraction, un oubli, une décision, un retour sur nos pas, un achat, un retard, etc., peuvent changer radicalement nos vies.
Ce questionnement se retrouve au cœur du roman de Brigitte Giraud, Vivre vite, prix Goncourt 2022.
L’autrice est née en Algérie et vit aujourd’hui à Lyon, là où se déroule l’action du roman. Brigitte Giraud n’est pas une nouvelle venue en littérature. Elle publie régulièrement, depuis 1997, romans, récits et nouvelles, et l’une d’elles, « L’amour est très surestimé », recevait le Goncourt de la nouvelle en 2007.
Giraud a attendu presque 25 ans avant de mettre en récit la mort de son conjoint Claude, musicien, responsable d’une discothèque, journaliste rock, ayant perdu la vie alors qu’il conduisait une Honda 900 CBR Fireblade, une moto très puissante appartenant au frère de l’autrice et conçue par l’ingénieur Tadao Baba. Il se trouve que cette moto est tellement puissante que sa vente s’en trouve interdite au Japon, sauf pour les circuits de course, ce qui n’est pas le cas en France. Claude conduisait depuis longtemps des motos, mais pas de ce calibre.
Le roman est bâti autour d’une série de si. Nous en soulevons deux. Si Tadao Baba n’avait pas construit cet engin. Si Claude avait utilisé sa propre moto au lieu d’emprunter celle de son beau-frère. S’ajoutent d’autres si : si Brigitte et Claude ne venaient pas tout juste d’acheter cette maison avec garage, jamais la mère de Giraud n’aurait suggéré à sa fille de proposer à son frère d’y entreposer quelque temps sa Honda avant de partir en voyage. S’ils n’avaient pas demandé et obtenu quelques jours d’avance les clés de la maison… s’ils n’avaient pas décidé de l’acheter… si le grand-père n’était pas décédé… s’il avait plu…, etc., Claude serait-il mort ?
Tous ces si sont énumérés dès le début. La liste aurait pu s’allonger à l’infini, mais l’autrice a fait son choix. Dès que l’on comprend que le roman s’attarde par la suite à décortiquer un à un ces si, l’enclenchement du récit produit son effet et l’on est attiré vers l’avant. Lire vite, comme aller vite sur une puissante moto.
Brigitte et Claude venaient tout juste de s’acheter leur maison de rêve, située dans le quartier qu’ils aimaient. Ils n’étaient pas loin des amis et des commerces familiers, leur fils ne changeait pas d’école. Ils avaient même payé une forte pénalité afin de résilier un contrat d’achat en cours : un appartement bien, un compromis raisonnable, sans plus. Claude n’aura pas eu le temps de jouir de cette maison, tellement il a été amené à vivre vite. Giraud a alors pris le temps nécessaire pour décortiquer les mécanismes à l’œuvre dans notre marche vers notre destin.