La mort est une loterie qui ne fait que des perdants. Un jour elle débarque, sans s’annoncer, et fauche ce qui vous est le plus cher.Le médecin Manuel Mendoza le constate avec plus d’acuité le matin où il trouve le corps avachi de sa femme, gisant au bas des escaliers de la maison familiale. Ne lui restent plus alors que les souvenirs, bien vifs ceux-là, qui ont ponctué trente ans de vie commune.Dans son quinzième roman, Alain Beaulieu porte un regard attendri sur le processus de deuil conjugal. Ses Visions de Manuel Mendoza retracent la remontée vers la sérénité du personnage éponyme, un être sensible et attachant, soudain confronté à la perte de son grand amour. Comme pour s’accrocher aux derniers signes de la présence de son épouse, Mendoza prend la tête des Éditions du Soupir qu’elle dirigeait avant sa mort. Jusqu’au jour où un manuscrit, chef-d’œuvre de surcroît, lance le bon médecin sur les routes fictives traversant les non moins fictives Terres rouges d’un pays anonyme.L’un des aspects les plus intéressants du récit réside sans contredit dans le questionnement métafictionnel que ce départ met en branle, et dans les moyens mis en œuvre par Beaulieu, avec les mises en abyme que cela comporte, pour interroger le statut et les limites de la fiction romanesque. Ainsi, en traversant le territoire des Terres rouges en quête du fils perdu, le médecin part-il sur la base du témoignage offert par le récit posthume de sa femme, écrit sous pseudonyme. Mais jusqu’à quel point le « mentir vrai » du roman est-il fiable ? La question est d’autant plus prégnante que le nœud même de l’intrigue principale repose sur le postulat que Gabriela aurait mené une double vie, que sa vie « réelle », donc, serait marquée par l’invention bienveillante, les fausses apparences, bref, par une bonne part de fiction.L’écriture spéculaire montre néanmoins des aspérités, la principale étant que résonne la voix de Beaulieu derrière certains commentaires de Mendoza : « Tout part de la cellule et des atomes qui la composent, et de quoi d’autre encore que nous ne connaissons pas. Et cet irréductible mystère ne s’exprime pas de plus belle manière que par les arts et la littérature ». Que ce genre de remarque tienne moins du médecin, éditeur néophyte, que du professeur de lettres, ne gâte pourtant rien : Visions de Manuel Mendoza est un roman habile, intelligent et agréablement écrit.
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