Après la réédition de La chronique des Pasquier il y a dix ans, Omnibus a eu l’excellente idée de remettre sur le marché Vie et aventures de Salavin, titre générique qui regroupe cinq romans parus pour la première fois entre 1920 et 1932. En outre, l’éditeur a pris l’heureuse initiative d’ajouter une nouvelle du recueil Les hommes abandonnés (1921), dans laquelle nous trouvons un épisode important de la vie de Salavin, et un bref essai, Vie et mort d’un héros de roman, où Georges Duhamel explique la genèse de son personnage.
Cette réédition en un seul volume est un véritable événement, l’occasion inespérée de redécouvrir une œuvre essentielle, emblématique de la misère morale qui caractérise tout un pan de la production fictionnelle des années 1920 ; sans compter que le personnage de Salavin est le précurseur évident du Roquentin de La nausée de Jean-Paul Sartre et du Meursault de L’étranger d’Albert Camus, ce qui n’est pas peu dire. Salavin est un petit employé de bureau congédié après avoir commis un geste inusité, bien qu’anodin, qui a soulevé la fureur de son patron. Le geste posé inaugure un questionnement existentiel qui bouleversera la vie malheureuse de Salavin et le conduira jusqu’à Tunis, où il tentera une dernière fois de refaire sa vie. Dans les Années folles, Salavin n’a surtout pas envie de s’amuser et de fêter, mais seulement d’essayer d’apprendre à être un homme afin de pouvoir donner un sens à sa vie.
Malgré les rides inévitables qu’elle a pu prendre, l’œuvre de Duhamel reste assurément la porte d’entrée privilégiée pour quiconque désire s’initier au désarroi de l’entre-deux-guerres littéraire, ne serait-ce que parce que ce désarroi est encore largement le nôtre presque cent ans plus tard.