« Nous sommes des dessins d’enfants », écrit Benoit Jutras dans Verchiel. De cette existence qui jadis fut autre chose qu’un paysage de bonhomme allumette, au temps où le ciel était le ciel, que l’enfer se plaçait en dessous et que la foi nous portait un jour vers l’autre tout entier chacun en soi-même et uni aux autres, de cette existence ne subsiste qu’une image naïve qui s’étiole. Et derrière cette image disparaissant, que reste-t-il ? Même pas un être, même pas des os. Cela qui survit et cela qui s’en va sauront-ils révéler, à travers l’écriture, ce que nous sommes devenus ? On connaît ces vers de Saint-Denys Garneau : « Nous allons détacher nos membres et les mettre en rang pour en faire un inventaire / Afin de voir ce qui manque ». Chez Jutras aussi, « nous enlevons notre peau, nous alignons nos os sur la ligne d’écriture ». Si dans la poétique du dénuement de Saint-Denys Garneau subsistait encore cette révolte devant l’inéluctable – « Car il est impossible de recevoir aussi tranquillement la mort grandissante » –, il en est autrement chez Jutras : le poète, notre contemporain, cette « chose de personne », est d’ores et déjà depuis le berceau un exemplaire de la mort, cette mort qui se perpétue depuis que le monde est monde. Dire ce nous, aujourd’hui, le retrouver au-delà de cette mort, voilà la tâche de l’écrivain qui, malgré sa « sainte horreur du poème », veut croire en une communauté d’humains, en « l’amitié noire qui écoute ». Les références et hommages, explicites comme implicites, sont d’ailleurs nombreux dans ce très beau recueil. Dire ce nous donc, le réinventer, en créant des livres de pluie ou de cendre, avec une langue impossible qui parle des « arbres de peaux », de la « nuit bêchée », du « nombre blanc », des « chiens de roches ». « Je dis » ce nous, et même si « je suis sans moi / [que] je m’avale pour vivre », traversé par le vent, la poussière et la pluie, ce « je » arrive à parler à quelqu’un d’autre, cet autre moi, moi qui, aussi, disparais.
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