Fréquenter les textes de Pierre Vadeboncœur, c’est s’ouvrir à l’intelligente complexité d’une pensée et d’un style sans guère d’équivalents québécois. Les fréquenter sous la houlette d’accompagnateurs de grand calibre (Yvan Lamonde et Jonathan Livernois), c’est accroître en soi les chances d’une souhaitable imprégnation. Leur présence, en effet, est discrète, pertinente, tournée vers l’auteur ; quelques lignes leur suffisent.
Vadeboncœur, homme libre entre tous, atteint ici à la suprême liberté, à celle qui soustrait la personne à ses propres dictatures autant qu’à celles du milieu ou des proches. L’auteur ne renie pas ses amitiés, mais il stigmatise Pierre Elliott Trudeau, Jean Marchand, Gérard Pelletier, Jean-Louis Gagnon, Henri Bourassa, etc. chaque fois qu’ils le méritent. Cela est déjà courageux. Les pourfendre après les avoir louangés ou leur rendre hommage au lendemain des pires reproches, voilà qui ajoute l’humilité et l’honnêteté au courage. Vadeboncœur s’expose alors, en pleine connaissance de cause, aux moqueries faciles de ceux qui se gaussent alors de son instabilité. Gérard Pelletier sera de ceux-là. C’était ne pas percevoir en Vadeboncœur une authenticité si nourrie de liberté qu’elle arrache la pensée aux ornières du passé. Ce que Vadeboncœur a commis hier ne saurait prévaloir contre ce qu’il estime juste aujourd’hui. L’entêtement est souvent une prison. Henri Bourassa reçoit donc les éloges après les coups, le souverainisme obtient créance et appui après avoir écopé de moqueries, etc. Vadeboncœur n’éprouve même pas le besoin d’ergoter au sujet de ses remises en question : quiconque a compris son culte du réel devrait avoir saisi du même coup que les mouvances dans la réalité obligent à amender les verdicts en conséquence.
Un exemple mérite et reçoit d’ailleurs de Lamonde et de Livernois une attention particulière : celui de Cité libre. Lié à la revue, Vadeboncœur la juge pourtant avec grande vigueur : d’après lui, elle aura servi au diagnostic sans parvenir à des propositions utiles. Quand débute Parti pris, Vadeboncœur, sans abandonner Cité libre, s’incline devant l’audace et la fécondité de la rivale. On ne s’y épuise pas en arguties ou en plans peaufinés à l’infini, mais on fonce, on bouscule, on entre dans le futur comme la génération précédente ne savait pas le faire.
Autre facette admirable et inimitable de cette incarnation vivante de la liberté, l’aptitude de l’auteur à lier toutes les manifestations de la créativité. Borduas reçoit son dû, comme le syndicalisme, comme la langue, comme le sacré, comme l’éthique. Tant il est vrai que la liberté ne se connaît de limites que celles qu’impose le sens des responsabilités.