Reconnu comme auteur d’œuvres littéraires maintes fois primées et largement diffusées, Yves Beauchemin publie à 82 ans son 12e roman pour adultes, Une nuit de tempête. L’argument directeur est la relation d’un urgentiste près de la soixantaine, le docteur Romain Bellerose, avec son jeune patient de 19 ans, Philippe Arsenault, victime d’une chute sur la glace qui l’amène à l’hôpital Charles-Le Moyne, à Longueuil, où il allait rejoindre une connaissance et où se passe presque toute l’action.
Compréhensif et compatissant, le médecin s’intéresse à cet accidenté qui a quitté le toit familial étouffant de Joliette et qui ressemble fort à son frère Martin, tué à 15 ans par un automobiliste pris de boisson. Il aide physiquement et moralement son malade à mener une vie plus stable et plus normale. Philippe s’éprend rapidement de l’une des filles du médecin, la cégépienne Léa, avec qui il pourra, après avoir surmonté bien des obstacles, réaliser son pressant désir de voyage en Europe de l’Est. Autour de ces trois protagonistes gravitent pas moins de 47 autres personnages dont l’importance des rôles varie beaucoup.
Présenté dans un texte suivi, non subdivisé en chapitres, Une nuit de tempête est un roman que l’on peut qualifier de long fleuve tranquille, si l’on excepte quelques épisodes particuliers – tragiques, comme le suicide de Virginie Bouliane, l’ex-épouse du docteur Bellerose, ou douloureux et brutaux, comme le conflit entre Philippe et le voyou vindicatif Pablo Michaud. Nous sommes en face d’un récit ou l’on trouve peu ou prou de suspense, ponctué de plusieurs prolepses (anticipation, annonce d’événements), dans une langue simple, souvent populaire dans les dialogues, à motifs détaillés où s’accumulent des données de tous ordres, même secondaires, voire superflues ou allongeant le déroulement de l’intrigue. Des précisions supplémentaires sont de plus régulièrement insérées entre parenthèses ou entre tirets. Des trouvailles narratives et stylistiques, parfois teintées d’humour, agrémentent par ailleurs ce fleuve tranquille : « On aurait entendu une mouche changer d’idée », lit-on par exemple ; « [s]i on veut que les gens pensent à nous régulièrement, il est préférable d’éviter de mourir », dit encore le narrateur ; « [ç]a serait aussi difficile de faire de ce gars-là [Pablo] quelqu’un d’honnête que de changer de la pisse de chat en parfum », pense pour sa part le coloré Wilbrod Lalancette, l’homme à tout faire du docteur Bellerose. On a également droit à « une torpeur gélatineuse », à l’« éclat napoléonien » d’un bureau de chêne. Voilà, je crois, les principales caractéristiques d’un roman dont l’auteur dit avoir rédigé une « dizaine de versions ».
Une nuit de tempête ne surpasse sans doute pas les œuvres lauréates de l’écrivain, tel le best-seller de 1981, ce fameux Matou, qui a été « traduit en seize langues et vendu à plus d’un million d’exemplaires » ; mais il trouve facilement sa place dans la liste des romans québécois dignes de mention.