Dans une brève et sympathique préface à ce livre de Jacques Lacoursière (1932-2021), d’abord paru en 2002 et réédité en 2013, Éric Bédard rappelle avec raison que l’auteur « est resté fidèle à une historiographie […] traditionnelle, centrée sur des événements et des personnages », et cherchant « moins à expliquer qu’à raconter ».
S’il ne manque pas d’établir les liens qui unissent les péripéties de l’histoire du Québec, Jacques Lacoursière a l’art « de faire du passé une grande fresque vivante et humaine ». À la lecture des propos de raconteur et de communicateur de l’historien chevronné qu’il fut, il me semble entendre, pour ainsi dire, le réputé professeur Henri Guillemin, qui a longtemps tenu son public en haleine sur les ondes télévisuelles françaises avec sa fameuse série sur Napoléon, il y a déjà plus d’un demi-siècle.
Une histoire du Québec fait avec justesse état de tous les événements marquants survenus dans la Belle Province, depuis le premier voyage de Jacques Cartier au Nouveau Monde, en 1534, jusqu’à l’aube du XXIe siècle, où l’auteur constate une division du peuple québécois quant à son avenir. Jacques Lacoursière en présente un résumé relativement succinct mais complet, en multipliant les citations pertinentes et les détails accrocheurs. On note ici les percutantes paroles du premier ministre John A. Macdonald sur le destin de Louis Riel : « Même si tous les chiens du Québec aboient en sa faveur, Riel sera pendu ». On retrouve aussi cette affirmation incendiaire du théologien Louis-Adolphe Paquet, dans son sermon du 24 juin 1902, à propos des Canadiens français, qu’il jugeait inaptes à la conduite des affaires : « Notre mission est moins de manier des capitaux que de remuer des idées ; elle consiste moins à allumer le feu des usines qu’à entretenir et à faire rayonner au loin le foyer lumineux de la religion et de la pensée ». Ailleurs, des faits concrets, souvent méconnus, voire inconnus du public, frappent l’imagination. Au XVIIe siècle, par exemple, en réponse à une question de l’évêque François de Laval, des « théologiens de la Sorbonne et [des] médecins de l’Hôtel-Dieu de Paris » concluent que « le castor est un… poisson (en raison de sa queue) » : les catholiques pouvaient donc en manger durant les jours d’abstinence qui leur étaient prescrits. Parmi les mesures de restriction adoptées après la Seconde Guerre mondiale, Jacques Lacoursière constate de même qu’il fut « défendu de fabriquer des tasses à deux anses et ce, pour économiser les matières premières » ; « les boutons aux manches de complets » durent « disparaître » pour un semblable motif. Sait-on que le toponyme « Canada », d’origine iroquoienne, signifie « amas de petites cabanes » ? Voilà des propos de conteur et de vulgarisateur qui particularisent la forme narrative de l’écrivain.
Son mentor Denis Vaugeois signe une longue postface où il raconte l’amitié et la complicité fructueuse qui a uni les deux historiens toute leur vie. Telle est, accompagnée d’illustrations, l’« édition hommage » que la maison du Septentrion rend à celui dont l’œuvre principale restera, pour la plupart des gens, sa captivante Histoire populaire du Québec, une vaste synthèse parue en cinq volumes, de 1995 à 2008.