Le régime des Khmers rouges a été une forme de totalitarisme inspiré d’une néfaste volonté de créer un « homme nouveau » faisant table rase de l’Histoire, un homme que l’on pourrait remodeler à force de propagande totale et continue sur les vertus d’un bonheur politique complet et permanent.
Grâce à un courage sans pareil, étant donné son jeune âge à l’époque (neuf ans en 1975), l’auteur dévoile son parcours à travers cette autre dérive idéologique propre au XXe siècle, visant en cela une meilleure reconnaissance historique de cette tragédie et, surtout, un procès international des dirigeants khmers : ceux-ci cavalent toujours, libres et impunis.
Presque à la manière d’un journal intime, ce Cambodgien vivant en France fait le récit de sa vie et de celle de ses proches et de leur disparition les uns après les autres, morts essentiellement d’épuisement et de malnutrition. Longtemps affecté à un camp de travail pour la construction d’une digue, devant subir comme tous ses autres camarades une propagande quotidienne, il est rempli de dégoût par ces slogans vantant la libération d’un peuple s’enfonçant pourtant dans la misère. La faim est en effet une présence quotidienne, lourde, constante. « Les gens y étaient tellement maigres que j’avais peur que ce soient des morts vivants, comme dans les films d’épouvante. J’y ai vu des femmes et des hommes qui trituraient leurs excréments pour en prélever des grains de maïs non digérés et les manger. »
Le livre nous rappelle combien la démence politique associée à un appareil d’État a des conséquences bien concrètes pour des milliers d’êtres humains, obligés de subir les rêves psychotiques d’une clique voulant imposer une Idée abstraite sur le réel, à travers une pensée chimérique, vécue comme finale et complète. Une seule déception à sa lecture : aucune information n’est donnée sur le contexte de l’époque, sur les racines ayant permis la pousse du mal khmer. Il s’agit d’un témoignage qui reste au premier degré, et qui ne fournit pas d’explication sur l’émergence et la chute du régime des Khmers rouges. Les intéressés devront donc se rabattre sur un autre ouvrage.