Les rites d’antan qui scandaient le rythme des saisons de la vie ont foutu le camp. Tous les repères symboliques qui permettaient de passer d’un jalon à un autre ont sauté. Notre monde est désolé. Les adolescents en Occident, et de plus en plus dans les pays du Sud, errent comme des zombies en quête de sens et multiplient les actions extrêmes pour se prouver leur existence. Les adultes ou plutôt les adulescents, comme il convient désormais de les nommer, continuent de vivre dans un espace-temps qui fausse la compréhension des rôles, eux-mêmes débordés par l’enfant qu’ils étaient et l’adolescent qu’ils restent, repoussant avec l’énergie du désespoir l’idée même d’entrer dans l’âge adulte.
Bref, c’est la chienlit ! Eh bien non, rétorque Fabrice Hervieu-Wane, il suffit juste de saupoudrer notre vie de rites de passage.
Ces rituels ont, depuis l’aube des temps, leur raison d’être : transmettre un message de génération en génération. Bien entendu, sous leur forme de naguère, ces rites ont tendance à disparaître, mais ne sont pas l’apanage des ethnies perdues au fin fond de la Papouasie. Il n’est qu’à songer dans nos contrées, et sans faire preuve de passéisme, aux rituels de passage importants qu’étaient l’obtention du diplôme d’études, la cérémonie du mariage Ces cérémonies amenaient une profonde mutation ontologique qui laissait des traces, donc créait des identités.
Ce livre bien documenté insiste beaucoup sur le fait que les nouveaux rites d’initiation sont déjà présents dans nos sociétés. En fait, il s’agit davantage de rites de substitution (initiation à la violence, à la drogue, aux tatouages, aux scarifications ) qui prouvent, si besoin était, la nécessité de les débusquer, de les redorer et de les dépoussiérer pour leur donner un sens nouveau. Car, dit l’auteur, « nous sommes en constante demande de symbolisation et de régénération, y compris dans nos moments de déviance ». Ritualiser la société serait la solution aux attitudes et comportements suicidaires extrêmes, car en estampillant chacun des passages de nos existences du sceau d’une révélation, nous trouvons une sagesse de vie qui fait défaut.
Mais voilà, le hic est qu’à force de vouloir ritualiser ces comportements excessifs et de proposer un catalogue de « rites pour notre temps », ne risque-t-on pas de balayer l’interdit ? Tous les aspects de la vie seraient « ritualisables », soutient l’auteur. Mais si les rites deviennent politiquement corrects sous couvert d’explorations de mystères insondables, ne s’expose-t-on pas à leur commercialisation éhontée donc, in fine, à une tromperie sur la marchandise ?