Née en 1980 en Estonie, une des trois républiques baltes indépendantes depuis 1991 et membres de l’Union européenne depuis 2004, Katrina Kalda est arrivée en France à l’âge de dix ans. Un roman estonien, son premier livre publié, a un quelque chose d’un roman russe, un je-ne-sais-quoi de la Mitteleuropa disparue.
La romancière propose une structure inhabituelle, un jeu littéraire de poupées gigognes, puisque le narrateur du roman est inventé par August, autre personnage du roman. Le chassé-croisé entre le jeune héros créé de toutes pièces et son créateur tout aussi fictif, entre fiction et réalité littéraire, est mené de main de maître. « August [ ] fixa en tâtonnant mon identité, me nomma successivement Arno, Anton puis Théodore, mit du temps à choisir le lieu de ma naissance. »
Cherchez la femme et soudain elle apparaît. Chère Charlotte. « Elle fut d’abord flattée d’être aimée par August. Pendant quelque temps, son amour hésita, parce que August n’avait ni maison ni voiture. »
Ce roman biscornu dévoile l’histoire récente d’une Estonie mal connue, « minuscule excroissance de l’Europe qui disparaît des cartes puis réapparaît », longtemps avalée par la Russie, son géant voisin. Là où on s’étonne qu’un étranger puisse prendre la peine d’apprendre la langue finno-ougrienne, « ce dialecte en passe d’entrer dans le panthéon des langues mortes ».
La langue de Kalda est belle, d’une douceur qui semble venir du XIXe siècle : « Sur la véranda, le citronnier jaunit ; la colonne mélancolique et lente des limaces vient de se mettre en marche dans le jardin ». Nostalgique, l’auteure révèle quelques secrets de Tallinn, sa ville natale : « Les escaliers grincent dans les petites maisons de bois, les gratte-ciel grelottent dans la neige, les volets claquent, les grues pirouettent sur leur jambe de fer ; on accorde les aiguilles des réveils et des beffrois ».