Guy Corneau dirait probablement d’Eddy : « père manquant, fils manqué » Même s’il en met plein la vue, on doute rapidement de ce rebelle à l’air pur et dur car dans le défaut de la cuirasse on aperçoit le muscle rosé qui palpite à vive allure. Seulement voilà : notre héros à tendances obsessionnelles est en dépression profonde. En effet, malgré la l’éclat des excès, Édouard souffre d’un grand dénuement moral.
Stéphane Bourguignon nous a habitués à des personnages masculins en proie à des crises existentielles qui déferlent avec fracas dans une vie apparemment sans histoire. Édouard, début quarantaine, est le plus accompli de ses personnages tourmentés. Même si le héros « bourguignonnien » a perdu de sa verdeur, il n’a rien perdu de sa fougue autodestructrice : il laisse à l’abandon son magnifique jardin et sa maison, il quitte sans avertir son travail, il provoque la séparation du couple, il impose à ses amis des discours assommants, il boit copieusement, frappe son meilleur ami, ne fait rien pour retenir son fils et, finalement, il saccage meubles et maison. On ne peut pas dire qu’Eddy donne dans la subtilité…
Avec son habituelle aisance, Stéphane Bourguignon nous fait souvent rire en racontant la descente aux enfers d’un personnage aux prises avec lui-même : « Depuis des mois, je n’avais pas d’autres caresses que celles du vent, du soleil et de la pluie. Ma peau s’adoucissait pourtant, comme en signe de supplication. J’ai donc pris ce vent comme on se rabat sur les putes, les yeux fermés, la tête bien appuyée sur le dossier. » Au-delà de l’histoire, qui somme toute rappelle sous plusieurs aspects les deux romans précédents, c’est la verve de l’auteur qui séduit : voilà un écrivain qui a du style !