Le prolifique Sergio Kokis dédie son 23e ouvrage à la mémoire de l’écrivain russe Eivgueni Zamiatine, forcé à l’exil pour avoir publié en 1924 le roman d’anticipation Nous autres. Ce petit livre bouleversera à jamais la vie paisible du personnage principal, Anton Antonitch Setotchkine, professeur de littérature russe à Moscou. Quoique étant un esprit libre, le professeur de 39 ans s’accommode plutôt bien des contraintes de la société totalitaire. Son principal regret : son mariage avec Vaxrvara, une de ses ex-étudiantes, de quatorze ans sa cadette, active dans la bureaucratie du Parti.
Mais voilà que le dernier jour de la session universitaire, le professeur de retour chez lui découvre, dans sa pile de dissertations à corriger, un petit livre accompagné d’une lettre l’invitant à le lire et à le faire circuler. L’étudiante Olga Komova, fille du colonel chargé de la construction de l’univers carcéral soviétique, a subrepticement glissé l’ouvrage clandestin au lieu de sa dissertation. Dans le climat de méfiance qui prévaut, le professeur craint le piège. Pourtant, l’étudiante lui témoignait respect et admiration pour l’ouverture qu’il manifestait dans ses cours. C’est du moins ce qui ressort de son message. Incapable de la retrouver pour obtenir des explications, Anton Antonitch est paralysé par l’angoisse : qu’on retrouve l’objet séditieux chez lui, ou qu’il le détruise, il devient suspect et passible de sanctions. D’autant plus qu’il « se rendait […] à l’évidence que le livre de Zamiatine avait eu le don de réveiller le dissident qui dormait en son sein depuis très longtemps ». En effet, le professeur reconnaît, derrière la fiction du livre interdit, où mène la marche inexorable du régime totalitaire de son pays.
Le narrateur s’immisce dans la conscience du personnage, qui passe par tous les états de peur, de suspicion, de mensonge. Anton se surveille, voit en sa femme et ses collègues d’éventuels délateurs, et encore plus lorsqu’il apprend le suicide de son étudiante, Olga. Il n’échappera pas à la nomenklatura, qui tentera de le récupérer en échange de trahisons, mais paradoxalement il y trouvera un grand soulagement, tant lui sont chers la liberté de penser, le « confort » d’être soi, sans mensonge.
Un petit livre atteste encore une fois les qualités de romancier de Sergio Kokis, qui invite toujours son lecteur dans des zones de réflexion fines et judicieuses.
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