Que peut faire le croyant quand on dénature l’évangile sur lequel il a construit sa vie ? Il souffre, bien sûr, et s’il l’ose, il proteste. Le témoignage que livre René Croteau à propos des transformations subies récemment par le Mouvement Desjardins tient, suivant cette double loi, du drame et de la protestation. On y sent une immense douleur et une colère contenue. Une conviction traverse le bouquin de part en part : le courant démocratique qui a servi à construire l’édifice coopératif québécois a été intercepté, détourné, stérilisé. La base ne contrôle plus les orientations du Mouvement, une poignée de mandarins décide en lieu et place de ceux dont les épargnes totalisent des dizaines de milliards, la curiosité gouvernementale étend désormais son contrôle sur une gestion qui, jusqu’à récemment, préservait farouchement son autonomie. De tout cela, René Croteau a été témoin ; contre tout cela, il proteste sans se laisser intimider par une nomenklatura qui a remodelé ses loyautés.
L’auteur a choisi de raconter cette « dépossession » sans multiplier les trémolos et les effets de manche. Il lui suffit de déposer les pièces, de raconter de façon factuelle et presque sèche l’offensive menée au nom de la modernisation, mais il dénonce quand même le déracinement et l’édulcoration des valeurs coopératives. Son combat est celui d’un solitaire qui ne sous-estime pas le poids des appareils, mais qui ne leur abandonnera pas le champ de bataille avant d’avoir raconté d’où est parti le Mouvement Desjardins et à quelle amnésie il en arrive. Le livre se termine sur un vigoureux échange épistolaire qui révèle quels sophismes peuvent se permettre ceux qui défendent une mauvaise cause et ne le savent peut-être même pas. (Puisque René Croteau incorpore un de mes textes à sa démonstration, je ne prétendrai pas être neutre en cette matière.)