« On ne lira pas ici une ‘Histoire de Byzance’ de plus. » D’entrée de jeu Évelyne Patlagean définit l’orientation de son essai, Un Moyen Âge grec, Byzance IXe-XVe siècle. Il s’agit pour elle de démontrer que, contrairement aux discours tenus par les spécialistes de l’histoire, l’Empire byzantin a bel et bien eu « son » moyen âge (entendu ici moins comme une période de l’histoire que comme un mode d’organisation sociale) parallèlement à une Europe « fille des invasions germaniques », puisqu’il partagerait plusieurs caractéristiques avec cette dernière. Pour faire sa démonstration, cette professeure à l’Université de Paris réexamine quelques grands paramètres de la société et de la culture byzantines (parenté, fidélité, guerre, intercession chrétienne) à la lumière des grandes études historiographiques sur le Moyen Âge européen, et en particulier à la lumière de l’ouvrage de référence signé Marc Bloch : La société féodale.
Le point de vue que défend Évelyne Patlagean est relativement nouveau. Longtemps, en effet, les médiévistes ont tenu l’Empire romain d’Orient en marge de leurs études sous prétexte que cette société n’avait pas connu le sort de sa voisine européenne, soit l’effondrement de ses institutions non plus que la germanisation qui s’ensuivit. En rapprochant l’histoire de l’Empire grec du courant médiéval européen, l’ouvrage éclaire d’un jour nouveau les rapports entre ces deux civilisations. Du coup, Patlagean fait la preuve que le passé peut éclairer le présent puisque cette relecture nous amène à envisager d’un œil neuf la question de l’intégration de l’actuelle Turquie à la communauté économique européenne.
Précisons toutefois qu’Un Moyen Âge grec présuppose chez le lecteur une solide connaissance des événements et des personnages qui ont jalonné l’histoire plus que millénaire de l’Empire byzantin. En effet, si l’auteure cite un nom ou un événement à l’appui de sa thèse, elle n’en rappelle jamais les tenants et les aboutissants, se contentant souvent de n’en donner que les paramètres chronologiques. Brillant, superbement documenté, d’une grande clarté dans l’écriture en dépit d’une tendance à user du jargon des spécialistes, Un Moyen Âge grec est un livre qui s’adresse d’abord à un public érudit. Avis aux intéressés.