Courtier en valeurs immobilières, spécialiste pondéré et même casanier, Vincent Morin ne semblait guère bâti pour le crime ni surtout pour la justice expéditive. Il se révélera pourtant, lorsque faisant face aux turpitudes de sa femme, d’abord capable de vengeance instantanée, puis méticuleusement retors. Si, jusque-là, il levait le nez sur tout ce qui vibrionnait hors de son univers prévisible et quantifiable, le voici astucieux, intuitif, insaisissable à en dérouter la machine policière. Il se prétend affolé, mais il accorde une telle confiance à ses ruses que, pas un instant, il ne songe à s’en remettre à la justice dont il pourrait pourtant attendre beaucoup de compréhension. Après tout, n’a-t-il pas tué sous l’impulsion d’une colère pleinement justifiée ? Nouvelle cohabitation de Jekyll et de Hyde !
On s’étonnera peut-être de ce que les enquêteurs de ce roman échouent à retrouver les personnes disparues et ne localisent même pas leurs véhicules. On n’en admirera que davantage l’efficace minutie de ce meurtrier impromptu : il échappe si parfaitement aux soupçons que tous l’entourent de compassion et le plaignent d’un deuil dont il est pourtant la cause. « Passent les jours et passent les semaines… » et Morin attend toujours son premier interrogatoire sérieux. Chapeau !
Crime parfait, par conséquent ? Oui et non. Certes, nul ne l’accuse, mais Morin est miné de l’intérieur. Peut-être pas par le remords, mais par l’inconfort, le malaise, la peur des regards. De lui-même il ne courrait pas au confessionnal de qui que ce soit, mais son blindage est friable. Richard Ste-Marie jette alors dans l’engrenage le petit rien qui, sans offrir de preuve contre Morin, donne enfin une prise au soupçon policier. Dès lors, les événements se précipitent et le lecteur de se demander si Morin résistera de tous ses freins ou s’il laissera son inconfort intime jouer contre sa propre cause. Ste-Marie aura eu le mérite peu courant d’observer de l’intérieur l’âme d’un meurtrier fragilisé par son crime.