À la fois chant poétique et cri de détresse, Un léger désir de rouge fait plonger le lecteur dans la tête tourmentée d’une jeune femme de 28 ans qui vient de subir l’ablation du sein. L’esprit coincé quelque part entre la Casamance (au Sénégal) et le Saint-Laurent, c’est une Toulouse fragilisée qui ne connaîtra plus la légèreté de la trapéziste balancée dans les airs au-dessus du vide. Comme elle le déplore, « auparavant, si la vie sur terre [lui] pesait, [elle] avai[t] le ciel pour [s]’évader ». Depuis ce fatidique diagnostic du cancer, l’acrobate désormais amazone n’a plus de filet pour amortir sa chute. Le contact avec le sol est d’autant plus douloureux pour cette Toulouse-born-to-lose.
Avec la sensibilité fragile que l’on associe d’emblée aux poètes, Hélène Lépine lance des mots bouées sur les sensations et les sentiments qui jalonnent la houleuse traversée de l’épreuve du cancer et des traitements de chimio chargés de terrasser la bête. « Oh ! Moumbala, pourvu que la satanée chimie s’attaque aussi à la peur. » Les perspectives d’avenir étant compromises, Toulouse se tourne tout naturellement vers le passé. Se complaisant dans une attraction pour une époque révolue, elle sent le vent du fleuve lui ramener un univers se composant de frères, de sœurs nombreux aux noms géographiques gonflés de tant de souvenirs, pas forcément heureux : avec Delhi, Oslo, Coaticook, Paris, Louvaine se tissent des relations familiales intenses, dont le caractère résolument tumultueux lui fera affirmer que « [n]ous sommes un archipel d’isolés », chacun aux prises avec ses démons intérieurs.
Un léger désir de rouge est bercé par une langue poétique aux occasionnels accents québécois (drabe, rapaillait) si imprégnée de lyrisme qu’on est happé par la grâce de l’écrivaine. La phrase d’Hélène Lépine voltige, au gré des virgules abondantes, à travers les dédales aériens des hésitations, des doutes, des craintes qui terrorisent une femme attaquée dans son intégrité, affrontant le calvaire de la maladie le plus souvent seule, l’âme en friche, le corps fragmenté. Un léger désir de rouge traque dans une langue qui s’élève bien au-dessus des seules considérations médicales et techniques le sentiment d’être, depuis l’ablation, moins qu’une femme.