On ne s’ennuie pas en lisant un livre de ce conteur irrévérent. Son dernier roman ramène à l’échelle humaine un personnage mythique de la littérature américaine.
On a décrit Henry David Thoreau comme un original, un romantique attardé, un individualiste forcené, un doux rêveur. On l’a qualifié d’anarchiste. Ses textes sur la désobéissance civile, interdits sous le maccarthysme, ont su inspirer le pasteur Luther King et le Mahatma Gandhi. Les idées de Thoreau sont connues par ses écrits, mais qu’en était-il de l’homme dans ses rapports avec ses semblables ? À quoi occupait-il ses journées, à part écrire, pendant ses deux années de retraite au bord du lac Walden ? Il tenait bien un journal, mais il y aurait consigné surtout ses observations naturalistes. Ce que ses amis et ses détracteurs ont dit de lui demeure incomplet et peut toujours être mis en doute. Reste à imaginer le personnage dans l’ordinaire de la vie, ce à quoi s’adonne avec bonheur Louis Hamelin dans Un lac le matin.
Le roman se concentre sur cette étape charnière du parcours de Thoreau où, de 1845 à 1847, il vécut en quasi-autarcie dans une cabane construite de ses mains. L’image de cette période forgée par Hamelin n’a visiblement pas pour objectif d’idéaliser le célèbre poète-philosophe. Le Thoreau du roman n’accomplit rien de bien spectaculaire durant son séjour en bordure du lac. Aux beaux jours, après une baignade matinale, il cultive le maïs, le haricot et la patate. Il évite la chasse, s’en tenant à sa résolution de tuer le moins possible, mais pratique volontiers la pêche de subsistance. Il reçoit régulièrement la visite de ses amis et, tous les dimanches, se voit offrir un bon repas chez ses parents, qui résident à moins de trois kilomètres de marche. Il échange parfois quelques mots avec un voisin d’origine canadienne-française, dont l’indigence intellectuelle le fascine.
Tout en se basant sur un certain nombre de repères biographiques bien établis sur Thoreau, Hamelin prend soin de maintenir le lecteur au fait de sa contribution créative au portrait. « L’écran de mon ordi donne sur la cabane de Henry comme la fenêtre de la cabane de Henry donne sur le lac Walden. Je le regarde écrire. La plume dont il se sert est une rémige de balbuzard rapportée des amonts du Merrimack. » En 2020, alors que le roman est en cours d’écriture, Hamelin interrompt son travail pour un temps, en raison de la pandémie. On trouve intégrés dans le récit quelques échos de cette pause pendant laquelle l’écrivain, comme la plupart de ses concitoyens, voyait sa routine perturbée. On y apprend entre autres qu’il a peu apprécié la lecture de La panthère des neiges de Sylvain Tesson, dont la teneur tient de l’« ascétisme de carte postale ». On retrouve donc, dans Un lac le matin, le ton goguenard habituel chez l’auteur, mais une narration moins éclatée, plus condensée que dans ses derniers romans. Hamelin ajoute de l’épaisseur et de la couleur à une somme d’écrits sur le phénomène Thoreau, qui demeure tout de même une énigme.