Les hommes sont, dit-on, moins friands de la lecture de romans que les femmes. Les gais feraient-ils exception à la règle ? En lançant la collection« l’Heure de sortie », l’écrivain Pierre Salducci fait un double pari : que des romans à thèmes résolument homosexuels et présentés comme tels trouvent leur large place non seulement auprès du lectorat gai mais aussi du public en général. Hardiesse, témérité même ?
Après une dizaine de volumes publiés, le résultat semble plutôt heureux. La présentation visuelle de la collection est particulièrement soignée, ce qui n’est jamais nuisible sur les tablettes des librairies. Parlons maintenant du contenu. Deux titres retiendront ici notre attention.
Le premier roman de Jean-François Larose, que l’on devine plus ou moins autobiographique, est étonnant de lucidité et de sincérité dans la désespérance assumée du narrateur. Un touriste québécois en visite en France accoste un jeune Turc de près de vingt ans. Entre eux va se jouer un jeu de cache-cache qui rappelle au narrateur ses premières amours. La curiosité du plus jeune, flatté de l’attention de cet adulte cultivé, va donner lieu à une amitié éphémère, ambiguë, quoique signifiante. Chacun porte son histoire de vie. Celle du narrateur semble derrière lui, lourde de souvenirs et de traumatismes amoureux même. Celle du jeune Turc se passe au présent. Les deux sont irréconciliables.
Voilà de courtes tranches de vie où la confusion des attentes, des angoisses et des sentiments crée l’atmosphère toute en nuance, et parfois elliptique, du roman. Car on a l’impression que le rêve et le réel se télescopent, ce qui laisse de la place au lecteur et à son imagination. L’écriture est intéressante, imagée, et sans doute pas étrangère au métier de l’auteur : conservateur de musée. Voilà un premier roman réussi, mais bref, presque laconique, qui en annonce peut-être d’autres ; ne s’agit-il pas d’un « jeune auteur » dans la cinquantaine ?
Le roman de Tapie est fort d’actualité et rondement mené. Une libraire m’a dit que c’était l’un des phares de la jeune collection. Non sans raison. Jérôme Peyral, un garçon ostracisé à l’école à cause de sa sensiblerie (il pleure publiquement la mort d’un jeune prof qu’il aimait en secret) et « ses manières de fille » (on le surnomme « Peyral la pédale »), va vivre l’enfer du rejet de ses pairs. « Il n’y a pas d’exécution publique. Il s’agit d’un harcèlement quotidien, qui maintient la plaie vive, mais ne la rend jamais mortelle. » « Mon sacrifice était une épreuve qui ferait d’eux des hommes », ajoute le narrateur, pas dupe du rôle qu’il est amené à jouer malgré lui, avec la complaisance d’un professeur particulièrement hypocrite et retors…
Transformer son humiliation et sa souffrance en double vengeance ne sera pas aisé, mais elle sera terrible, surtout dans le second acte, si j’ose dire. Plonger dans le monde de Jérôme, c’est vivre ce que plein de petits garçons expérimentent encore à l’école et ça se passe autant ici qu’en France, lieu de l’action du roman. Il y a indéniablement une certaine parenté avec le magnifique film Ma vie en rose, mais avec une chute infiniment moins ludique dans le cas présent, parce que Peyral devenu adulte n’est plus prêt à supporter la moindre humiliation. Il a déjà trop donné.