À vouloir tout dire, il arrive, même si l’on possède la faconde d’Élie Wiesel, que la chatoyante diversité déboulonne la rigueur. Qu’un homme d’âge plus que mûr, riche et favorisé, s’interroge sur sa santé mentale au point de recourir à une psychanalyste, c’est déjà un ample sujet. Qu’il soit parvenu à ce stade de l’existence sans union stable ni descendance n’éclaire peut-être pas la situation. Quand, cependant, le personnage refuse de répondre aux questions pour lesquelles il paie, on entre dans le paradoxe, sinon dans l’incohérence. Cela, certes, nous vaut des pages d’une grande intelligence, car les protagonistes ne manquent pas de ressources, mais cela ne mène à rien. Tout au plus soupçonne-t-on que le patient aux secrets porte peut-être comme une hypothèque les souffrances dont les nazis ont frappé sa famille. Peut-être se doute-t-il lui-même que là se trouve la source de son mal de vivre. À mesure que filent les pages superbement écrites et riches de références judaïques, Wiesel abandonne le thème de la folie pour pénétrer dans l’univers de la mémoire et de l’obsession. Une fois de plus, l’auteur évoque le génocide et ses legs douloureux. Pèlerinages émouvants, mais qu’on rattache malaisément aux inquiétudes du départ. Puis, après l’aveu d’échec de la psychanalyste, le personnage, dont l’abcès, s’il existe, n’a pas été lancé, devient subitement capable de s’intéresser à une femme, de parier sur la vie et de ressentir « un désir fou de danser ». Parcours déroutant, récit embroussaillé.
Tout en déroulant ce scénario aux articulations fragiles, Élie Wiesel, à son habitude, explore et décrit les méandres de sa judéité. Il fait comprendre à quel point la création de l’État d’Israël ne correspond pas à un consensus : certains juifs réprouvent le sionisme qui, de son côté, tient à un État juif sécurisé et fort. « Le ‘retour à Sion’ n’est pas seulement une faute, mais également une tragédie. » Wiesel rappelle aussi que, contrairement à la légende, l’antisémitisme n’a pas sali la seule Allemagne, mais bien d’autres pays européens et, en particulier, sa Pologne natale. Et, toujours, malgré les divergences entre écoles, les textes sacrés reçoivent le respect dû aux références stables et rassurantes. Rien n’oblige à suivre Wiesel dans sa conviction que le seul véritable génocide est celui qui a frappé les juifs, mais on doit s’incliner devant une inguérissable douleur.