La remise du prix Hervé-Foulon 2021, prix du livre oublié, ramène dans l’actualité littéraire le premier roman qu’a écrit en français la romancière d’origine japonaise. Paru initialement chez Leméac en 1999, puis en 2000 chez Actes Sud, Tsubaki amorce la pentalogie au titre évocateur, Le poids des secrets. Deux autres pentalogies ont suivi et une troisième est en cours. Aki Shimazaki est peu connue du public, sans doute en raison de sa grande discrétion qui lui fait refuser la plupart des entrevues. Elle en a néanmoins accordé une à la collaboratrice de Nuit blanche Linda Amyot, dans le numéro 108, automne 2007, que l’on peut relire sur le site du magazine.
Le cœur du roman apparaît dans un récit enchâssé, une lettre posthume qu’une mère, survivante de la bombe atomique, a déposée chez le notaire avec son testament quelques jours avant sa mort à l’intention de sa fille unique, Namiko, et de son petit-fils qui la pressait de questions au sujet des bombes larguées sur Hiroshima et Nagasaki, et des motivations des Américains. « Il y a des cruautés qu’on n’oublie jamais. Pour moi, ce n’est pas la guerre ni la bombe atomique », avait déclaré l’aïeule. De quoi laisser sa fille perplexe. C’est en lisant la lettre de sa mère que Namiko comprendra. Yukiko y confesse son crime, un parricide perpétré le 9 août 1945, peu avant que la bombe atomique ne tombe sur Nagasaki, le père ayant de ce fait passé pour l’une des nombreuses victimes de la catastrophe. Pour partir en paix, celle qui aurait aimé mourir comme les camélias (tsubaki, en japonais), ses fleurs préférées parce qu’elles meurent sans perdre leur forme, dévoile son lourd secret avec toutes les circonstances et les motivations qui l’ont menée 50 ans plus tôt à poser son geste. De quoi ébranler Namiko et son fils, d’autant plus qu’un personnage, survivant de Nagasaki, pour qui la mère a aussi laissé une enveloppe, apparaît à la fin du récit qui encadre la lettre enchâssée. D’autres révélations attendent les lecteurs dans les quatre autres romans de la pentalogie où certains personnages reviennent, sans qu’il s’agisse réellement d’une suite.
Tsubaki traite de la dérive de la passion amoureuse quand l’adultère et la félonie couvent sous des airs de respectabilité. La romancière fait s’imbriquer avec finesse la vie de personnages fictifs dans l’histoire du Japon. De même, un détail ici ou là évoque une tradition ou la culture du pays.
La plume d’Aki Shimazaki est unique. Pas d’éclats, ni de surcharges stylistiques. Une langue épurée, une écriture minimaliste qui fait sa force d’évocation. Lire Aki Shimazaki, c’est apprécier une histoire complexe et dense, narrée avec une économie de moyens. C’est reconnaître les passions humaines aux accents de la culture nipponne, car Montréalaise depuis 1991, l’autrice nous amène au pays du Soleil-Levant dans tous ses romans.