Depuis La saison des quêteux (1986), Sylvain Rivière poursuit inlassablement la même mission : chanter la Gaspésie en faisant appel à une langue colorée qui s’inspire de ce qu’il appelle le « patois » local dans son essai Prendre langue (2002), mais qu’il transforme en un chatoiement qui amuse l’oreille, tout en rendant hommage à ceux et celles « qui ne […] prendraient jamais autrement » la parole.
Les douze nouvelles de Trousse-Jupon et autres histoires continuent cette exploration, tant il est vrai que sa banque de personnages semble infinie. De Minique-la-Dérive, qui a abouti sur l’archipel des Ramées (le nom donné aux Îles-de-la-Madeleine par Nicolas Denys en 1672), à Ado-les-Médailles, qui doit son surnom moins à la guerre qu’aux médailles achetées à vil prix à Paris à la Libération, la galerie de personnages couvre plusieurs facettes de l’âme humaine, tout en décrivant une société gaspésienne à la fois réelle et imaginaire. On est dans le registre du conte où toutes les fantaisies sont possibles : des personnages hors de l’ordinaire qui vivent à une époque aux contours aussi indéfinis que la société dans laquelle ils s’inscrivent, mais dont on peut penser qu’elle se situe quelque part dans les années 1940 et 1950, avec tout ce qu’il faut de détournements et d’anachronismes qui empiètent sur l’histoire et le légendaire. Peau de Chagrin affirme d’ailleurs ici « que le seul vrai pays de ses chairs dort au beau mitan de nos croyances populaires ». Car la vérité est dans la recréation littéraire de ce que Sylvain Rivière retient de son coin de pays, Gaspésie et Îles entremêlées. Alors le verbe jaillit dans des envolées comme celle-ci, où l’auteur trace le portrait de Jeanne d’Arc Babin : « Brise de terre, proche parente de jusant l’insoumis et de nordet la tripaille, ni dieu ni démon, brumage et rêve monté sur deux pattes, phare et langue de feu naviguant à l’estime, volupté détroussée à l’astrolabe alignant les failles enfirmamentées en trempant sa plume d’amertume dans l’encrier renversé d’une baie tout aussi désœuvrée qu’illettrée ».
Alors, on embarque ou pas dans cet univers à nul autre pareil. Mais quand on embarque, on découvre un monde aussi vrai que le plus vrai des mondes.
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