Des 94 militaires canadiens qui ont reçu la Croix de Victoria, seulement trois avaient le français comme langue d’usage. D’où l’étonnement de Luc Bertrand, d’où aussi sa recherche. Pourquoi cet énorme décalage linguistique et culturel ? Et quels types de surhommes furent les trois exceptionnels récipiendaires francophones ?
La seconde question semble la plus simple, mais peut-être ne l’est-elle pas. Certes, qu’il s’agisse de Joseph Kaeble, de Jean Brillant ou de Paul Triquet, les gestes posés témoignent d’un courage exemplaire. Mais furent-ils les seuls à le posséder ? D’autres, ignorés, furent-ils aussi méritants ? Bertrand ne prétend pas répondre adéquatement à cette question. Il note, fort honnêtement, que ces trois médaillés doivent leurs honneurs au fait que des témoins – de préférence des supérieurs hiérarchiques – purent se porter garants de leur courage. Que les héros du silence blâment le hasard.
La première question débouche sur des hypothèses plus gênantes. On veut bien admettre qu’il y avait dans les troupes canadiennes plus d’anglophones que de francophones, mais le décalage n’atteignait pas 30 contre 1. L’anomalie pointe en direction de filtres. La hiérarchie responsable de la sélection des récipiendaires étant elle-même massivement anglophone, il faut envisager, et Bertrand y consent, d’imputer à la subjectivité de ce regard au moins une part de la scandaleuse disproportion entre les deux groupes de médaillés. S’ajoutant au hasard, ce facteur hypothèque la crédibilité de la décoration, ce que le bouquin occulte presque complètement.
L’auteur regrette quand même que le public francophone en sache trop peu sur ces trois héros. Il a raison dans deux cas sur trois. L’attachant Kaeble est le plus oublié. Quant à Triquet, il fut mis en marché par l’armée sans égard pour ce qu’on dénomme aujourd’hui le stress post-traumatique. Seul Brillant a reçu le tribut mérité. Doutons, cependant, que ce soit à l’armée qu’il doit cette justice. Jean Brillant était le frère de Jules Brillant, le quasi-propriétaire du Bas-Saint-Laurent (Québécair, Compagnie de pouvoir du Bas-Saint-Laurent, Le Progrès du Golfe, Québec-Téléphone, L’Écho du Bas-Saint-Laurent, CJBR-Radio, CJBR-TV, un chemin de fer, etc.). Jules était en mesure d’assurer le renom de Jean ; à preuve, le Jean-Brillant, bateau passeur entre Sainte-Anne-des-Monts et Sept-Îles.
Bertrand a peut-être couru un risque en demandant au major général Alain Forand la préface de son bouquin : des esprits tordus pourraient penser qu’il a renoncé ainsi au souhaitable recul du chercheur.
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