L’excellence de ce bouquin découle de la jonction de deux témoignages à la fois distincts, complémentaires et d’une parfaite fiabilité : celui de l’historien Jocelyn Saint-Pierre dont les relevés donnent de la trajectoire de la Tribune de la presse un tracé exact et nuancé et celui du journaliste Gilles Lesage dont la puissante préface précise le sens juste et inquiétant de l’historique de Saint-Pierre.
On ne louera jamais assez la sereine patience de Saint-Pierre. Les nombreuses années de sa féconde carrière, il les a toutes consacrées à établir et à raconter la relation entre la presse et l’Assemblée nationale du Québec. D’où a surgi cette presse spécialisée ? Comment a évolué le regroupement des chroniqueurs parlementaires ? La Tribune mérite-t-elle le qualificatif d’institution ? À quels besoins a-t-elle tenté de répondre ? Quelles crises a-t-elle traversées et en quel état a-t-elle survécu ? Une interrogation prend pourtant préséance sur toutes les autres : le virage vers l’image et la technologie afférente fait-il courir des risques inédits à l’indispensable Tribune de la presse ?
À cette question, Saint-Pierre et Lesage répondent dans le même esprit, en se référant à des valeurs communes, en respectant la règle qui empêche de confondre « les trois grands genres du métier : les nouvelles et les faits, l’explication et l’analyse, le commentaire et l’opinion, dans cet ordre » (Lesage). Avis sévère est ainsi servi aux esprits brouillons et brouillés selon lesquels tous les types de communication appartiendraient au même arbre et partageraient les mêmes missions : il est vain et même néfaste de supputer tant que les faits et l’analyse n’ont pas déblayé le terrain. Saint-Pierre insistera donc sur les faits, les personnages, les installations physiques, la taille des effectifs, les contributions des deux cultures, les pressions exercées par certains empires médiatiques, avant d’oser ses conclusions ; Lesage, tablant sur la description offerte par Saint-Pierre et les constats qu’il tire de sa propre observation, ajoutera son analyse à celle de l’historien et coiffera le tout de commentaires dûment fondés. Véritable cours de Journalisme 101.
Historien et préfacier constatent l’ampleur des changements survenus à la Tribune de la presse de Québec au fil des ans. Les effectifs ont atteint un sommet pendant la période où le Québec s’interrogeait fébrilement sur sa présence dans l’ensemble confédéral ; ils ont diminué de moitié depuis que le Québec joue les apaisés. Du monopole longtemps exercé par la presse écrite, la Tribune est passée au règne de l’image et à l’intégration dans ses rangs de compétences diversifiées. La technologie en a profité pour imposer sa loi et ses mœurs : la rapidité prime ; l’instantané, le condensé, l’arraché, le scrum infect sont les valeurs dominantes ; les ententes entre médias accentuent l’homogénéisation de la nouvelle et l’instinct grégaire de la meute journalistique. Ni Saint-Pierre ni Lesage ne sortent rassurés de ces mues. « La technologie, écrit Saint-Pierre, a marqué chacun des médias : les journaux et la radio ont plus opiné qu’informé, la télévision a engendré l’information en continu ; tous ont été contaminés par l’infospectacle. » Lesage endosse aisément ce verdict, tout en laissant entendre que l’image et ses corollaires ne garantissent pas une information comparable à celle qu’offrait jadis la presse écrite : « Ce regard critique [de Saint-Pierre] n’est pas nostalgique et tourné vers le passé. Il tend ardemment vers un avenir où la presse écrite parlementaire retrouve sa noblesse et son rôle de phare irremplaçable ». Ce qui ne signifie pas que Saint-Pierre baigne dans le jovialisme ! Après avoir noté l’accélération fantastique des processus, Saint-Pierre conclut plutôt lui aussi à un recul sur l’essentiel : « Certes, ces nouvelles avancées ont facilité le travail des reporters parlementaires, mais elles leur ont aussi compliqué la vie ; leurs patrons en veulent toujours plus, toujours plus vite. Ils ont gagné sur le temps de la transmission, mais ils en ont perdu pour la rédaction et la recherche. On a opté pour la quantité alors qu’on aurait pu améliorer la qualité des reportages ». Et Saint-Pierre laisse le mot de la fin au vétéran John Grant : « La technologie a tué le journalisme ».
Rares sont les lecteurs qui idolâtrent les préfaces : ou bien on les enjambe ou bien on attend d’avoir lu le livre pour leur consentir un instant d’attention. Dans le cas présent, la forte préface de Gilles Lesage mérite une lecture avant le plongeon dans l’historique de Saint-Pierre et une seconde lecture après avoir savouré l’admirable entêtement de l’historien.
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