Les dernières œuvres de Louise Cotnoir et de Denise Desautels démontrent de plus belle leur importance respective au sein de la poésie québécoise féminine, mais aussi de la poésie tout court. Quatre ans après le très beau recueil Dis-moi que j’imagine, Cotnoir offre avec Nous sommes en alarme un livre aussi frais que le précédent, mais plus ancré dans la société américaine et d’une structure particulièrement rigoureuse.
Les trois sections partagent la disposition suivante : quelques poèmes en vers situés en îlot entre deux groupes de courtes proses, ces dernières s’enchaînant grâce à la reprise partielle, au début de chacune, de la phrase finale de la précédente. Cet assemblage se fait sans lourdeur et contribue à rythmer la lecture, alors qu’on se laisse imbiber par cette présence au monde combative et troublée. Menée au nous, cette réflexion poétique témoigne d’une mélancolie qui se surplombe pour faire de la parole un positionnement dans l’urgence. « Le paysage, jusqu’à ce qu’il ne veuille plus de nous. Une blessure qu’il nous faut regarder pour guérir. » La mégalopole nord-américaine est alors ressaisie dans sa double nature d’abomination et d’accoucheuse du regard, dans une perplexité qui laisse tout de même place à l’action : « Au cœur des villes tentaculaires / Un semblant de rémission / Circuit des calamités ».
Plus récent, le Tombeau de Lou de Denise Desautels navigue en des eaux très sombres, en réactivant sous plusieurs aspects la tradition du tombeau littéraire. Vivre la mort d’autrui, se questionner sur la disparition et l’absence, digérer la mort, faire survivre le défunt sous un mode différent, symboliser la métamorphose : voilà des vecteurs selon lesquels l’écriture de Desautels nous entraîne, enrichissant la voie initiée notamment dans Cimetières : la rage muette. Ici, la prose poétique recouvre tout l’ouvrage, qui se pose comme un écho créatif aux photographies d’Alain Laframboise rassemblées dans les premières pages.
Par cette séparation de l’image et du texte semble se concrétiser celle entre l’auteure et son sujet, l’amie, ou la sœur mourante, bientôt inaccessible, qui fournit pourtant par sa disparition même un moteur au texte. Aussi romancière depuis quelques années, Desautels ne cède pourtant pas à l’anecdote dans ce recueil et traite l’agonie de l’amie avec les ressources propres de la poésie ; c’est donc l’impossibilité de raconter qui occupe l’espace le plus large, dans un deuil frôlant parfois la paralysie, voire la déshumanisation. Passé cette austérité, on garde le souvenir d’une œuvre dangereuse, difficile, qui exprime puissamment la tension entre la grande histoire et la petite : « Un siècle d’histoire future, en jeu, en joie, ton fol alphabet prodigieusement bricolé dans cette chambre anonyme, des circuits de lettres, arc de cercles et spirales autour de nous, à quelques heures de ta fin, pendant que tes doigts lointains ébauchent des extravagances sur un drap trop bleu et que la nuit se propage. »