On peut s’étonner : qu’il suffise de neuf mois de critique sur l’art pour justifier un livre, ce n’est guère courant. Un recul d’un lustre ou deux avant d’honorer une plume, cela, en effet, semble un minimum. La surprise se résorbe dès que s’établit le contact entre le lecteur et le critique d’art Noël Lajoie. Et on sait gré à Laurier Lacroix d’avoir obtenu l’aval de Lajoie pour bâtir ce livre.
Dès les premiers des 43 textes rédigés par Lajoie dans Le Devoir entre octobre 1955 et juin 1956, la cause est entendue : non seulement le critique sait de quoi il parle, mais il va le clamer haut et fort. Quand, par exemple, il parle de Paul-Émile Borduas, il évalue ses œuvres au lieu, comme tant, d’en faire toujours et uniquement l’auteur du Refus global : « Beaucoup de peintres donnent l’impression de se détendre lorsqu’ils abordent l’aquarelle qu’ils considèrent comme un genre mineur, susceptible de produire tout au plus des œuvres ‘agréables’. Il en va autrement chez Borduas. Il semble, en effet, qu’il ait toujours considéré l’aquarelle comme un genre qui lui permettait de poursuivre ses recherches de style ».
Complaisant, Lajoie ? Jamais. Il traite les vedettes établies et les courants dominants à leur mérite. À Goodridge Roberts, il reconnaît ce que l’on appelle « un métier solide », mais c’est pour ajouter aussitôt que cette maîtrise technique peut tuer l’émotion. « À part quatre ou cinq tableaux dus à la fatigue, où les formes s’amollissent, se noient les unes dans les autres, les toiles de Roberts exposées à la galerie Dominion font paraître un métier de plus en plus envahissant. » À propos des Plasticiens, il écrit : « L’expérience des Plasticiens nous a beaucoup déçus, car nous attendions d’elle un regain d’intérêt, un dynamisme renouvelé dans notre milieu artistique ». Pareil jugement n’aurait que la portée limitée d’une opinion subjective si Lajoie n’ajoutait pas une argumentation solide. Ce sera à la fois son utilité pédagogique et sa marque de commerce que ce souci de toujours motiver les verdicts. « Tâchons du moins, ajoute-t-il au sujet des Plasticiens, d’expliquer leur échec. Il tient sans doute à ce qu’ils ont adopté une attitude extérieure à la peinture. Ils ont essayé de lui faire traduire des évidences intellectuelles. […] Souhaitons qu’ils ouvrent les yeux sur des réalités concrètes et qu’ils abandonnent les idées vides qui tuent leur imagination. »
Lajoie use de ses multiples connaissances techniques. « Il convient, écrit-il, de féliciter les membres du comité d’accrochage pour le goût et le tact avec lesquels ils ont réussi à partager tant d’œuvres si diverses par leurs tendances et par leurs qualités. » Les galeries reçoivent aussi leur dû. Compétence technique et culturelle qui transparaît dans ses évaluations pénétrantes et chaleureuses des œuvres de Leduc, de Corbeil, de Mondrian, de Barbeau, de Riopelle, mais qui jaillit avec rage face à certains ratés : « Il faudrait être féroce pour rendre compte comme il convient du Salon du printemps ! Je ne crois pas avoir visité jamais une exposition aussi mauvaise, aussi nulle ».
Aujourd’hui âgé (88 ans ?), mais toujours caustique, Lajoie signe la postface de ce recueil vigoureux, éclairant, professionnel : « J’ai quitté Montréal en juin 1960 et n’y suis plus revenu. […] J’avais oublié ces textes ».
Le Québec y aura perdu.
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