Après le sucré de l’érable, voici l’amer de l’étale.
Tenir parole se présente comme une réponse à Tenir tête, essai sur la grève étudiante de 2012 paru l’année suivante et signé Gabriel Nadeau-Dubois. Le GND fictif qui se raconte dans Tenir parole élabore un portrait nuancé, révélant, ici, un douloureux secret, là, l’un de ses points faibles. Parmi sa meute rapprochée se côtoient fidèles, suiveurs et traîtres, tandis que dans sa nébuleuse intime se trouvent une ex-amoureuse endossant la tenue de combat du Black Bloc, une mère veuve de ses idéaux et un père castrateur à qui il dira : « Va chier papa ! Va chier ! » Si l’exofiction, à la mode littéraire d’aujourd’hui et écrite à quatre mains, donne à voir un GND qui ne se prend certes pas pour de la crotte de bique, elle le montre aussi, au fil des événements, de plus en plus tourmenté par les affres du doute, la fureur régicide de la population étudiante et le poids du mandat que lui a confié cette CLASSE transformée en véritable machine de guerre.
L’incipit du roman pose avec un sens certain de la formule le drame et la trame politiques de la protestation des carrés rouges, et nous mène dans les coulisses où s’est ourdi un printemps pas comme les autres, occupé par ses principaux acteurs, presque tous identifiables, de John James Charest à Amir Khadir, sans oublier les biens domptés Martine et Léo. On croit dès lors que les deux auteurs, Clément Courteau et Louis-Thomas Leguerrier, ont échappé au traquenard que tend pareil projet politico-romanesque. Pas tout à fait. Pas tout de suite. Leur mise en place du contexte, des personnages et des enjeux est par trop explicite et bavarde. En somme, un peu lourde. Mais quand, dans les eaux glacées du calcul, arrive le passage très réussi des négociations entre les trois porte-parole des associations étudiantes et le gouvernement libéral de l’époque, où l’on entend la colère contestataire de la rue, surgit ce qui manquait jusque-là au récit, un souffle passionnel d’une belle hauteur poétique. Ainsi, dans la mêlée violente entre policiers et émeutiers qui se jaugent, se battent, au sang quelquefois : « Le combat, presque immobile, semble être une étreinte maintenant ».
Si l’on se doutait de la complexité de ce soulèvement historique, singulier à la fois par sa durée et sa portée, par les dualités féroces qu’il a engendrées, Tenir parole montre les dessous et les tractations où s’affrontent des forces contraires, souvent ennemies. Les deux auteurs, membres du collectif révolutionnaire Hors-d’Œuvre très actif pendant la crise, dépècent scrupuleusement les luttes intestines, les jeunes solidarités et les vieilles rivalités. Leur commentaire politique acéré n’est jamais très loin, et c’est bien. « Un bon politicien commence toujours par fouiller les détritus de votre assiette. Après ça, il va fouiner dans les ordures ménagères. » Voyez aussi certains points de vue assassins : « Est-ce que le peuple va voter libéral et appliquer son droit inaliénable et sacré à l’auto-extermination… ? » Gorgée de désillusions, leur exofiction se conclut sur une note pareillement grinçante et déconcertante.
En refermant Tenir parole et face à l’étale politique des jours présents, une question lancinante s’impose. Que reste-t-il de ces beaux jours de notre printemps au goût d’érable ? Après un intermède péquiste de dix-huit mois pendant lequel a été annulée la hausse des frais de scolarité, les affairistes libéraux ont repris le pouvoir, et règnent depuis dans une légitimité fort douteuse. Pour autant que le précaire équilibre se maintienne, ils continueront d’essuyer des vagues de scandales en maintenant une cote électorale quasi inflexible. Mais si l’on en croit Courteau et Leguerrier : « La politique est combustible ».
TENIR PAROLE
- Annika Parance,
- 2017,
- Montréal
228 pages
22,95 $
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