Après Nikolski qui l’a révélé non seulement au Québec, mais aussi à l’étranger par ses traductions, Nicolas Dickner revient avec un roman moins ambitieux, qui utilise néanmoins de manière aussi réjouissante l’art du récit, de l’ironie et du suspense. Il se sert de ces matériaux pour réfléchir à la mise en forme des utopies, des logiques de la fin et de la découverte de l’autre. Ce faisant, Tarmac réussit en quelque sorte l’impensable : il exhausse Rivière-du-Loup en lieu de basculement planétaire, en espace mondialisé, cosmopolite, en territoire mémoriel travaillé par la métamorphose, l’effacement des traces, les transformations architecturales. La ville du Bas-du-Fleuve devient un creuset formidable pour inscrire le contemporain, les errances médiatiques, pour s’alimenter des grands courants mondiaux.
Autour d’un terrain de baseball, le narrateur Mickey rencontre Hope, jeune femme vive et affranchie, qui se consacre, comme sa famille, à la fin du monde. Entre les deux adolescents se noue une amitié forte, faite de nouvelles télévisées, de menace nucléaire, de guerre froide, de nouilles asiatiques, autant de faits, de discours et d’objets qui les inscrivent dans un monde à la continuité problématique. Le récit suit le point de vue de Mickey, qui évoque, en 97 courts chapitres, leur rencontre, leur squattage du sous-sol familial, de même que les errances de Hope. C’est sur ce dernier point que Dickner fait montre de sa réelle maîtrise littéraire alors que le récit déplace avec acuité son point de vue narratif et expose la posture de témoin de Mickey.
Hope se retrouve au Japon, dans un pays qui n’est que l’hypertrophie de ce que Rivière-du-Loup était déjà : un lieu morcelé, en reconstruction, aux identités multiples et insoupçonnées. Tout concourt à lier les deux mondes : les terrains de baseball, le béton, la présence fantomatique du Mur de Berlin, les nouilles, les langues étrangères, la traversée des frontières, la mouvance urbaine. Dans ce jeu de rabattement, dans cette attente de la fin et des déplacements, dans ce témoignage inquiet et serein tout à la fois d’une période de transition qui annonce notre rapport contemporain au monde, Dickner privilégie la nécessité de se forger une mémoire par les récits à toutes les tentatives de s’offrir des réponses déjà formulées pour encaisser les chocs d’un univers discontinu. Oui, le récit est un fil tenace.