Fidèle à l’esprit et à la méthode de l’historien Fernand Braudel, Immanuel Wallerstein embrasse les grands ensembles (système-monde) dans une analyse qui combine la longue durée (tendances séculaires du capitalisme) et les rythmes (cycles économiques et politiques) pour proposer une approche globale de la période politique actuelle. Pour comprendre l’importance et les potentialités de ce qu’il désigne comme une crise historique du système, Wallerstein décrit la trajectoire du déclin de l’hégémonie de la puissance américaine depuis la guerre du Vietnam jusqu’à l’effondrement des Twin Towers en septembre 2001. Il en retrace les fondements tout en soulignant son acuité devant les difficultés croissantes qui confrontent l’accumulation du capital et l’impact limité des politiques néolibérales pour y faire face. Se défendant d’épouser une vision mécaniste du changement, le théoricien insiste plutôt sur la situation « ouverte à l’intervention et à la créativité humaines » qui émerge dans cette ère de transition du système-monde. À ses yeux, la présente période en est une de « bifurcation et de chaos » dont le cours est loin d’être prévisible mais qui en même temps ne pourra contourner une transformation fondamentale du système-monde dans les décennies à venir.
Sur ce constat, l’auteur pose la question : « Qu’est-ce qui est possible et souhaitable ? » Partant d’un bilan critique permettant de comprendre le rôle et des réalisations de la gauche mondiale aux XIXe et XXe siècles, Wallerstein insiste pour que la stratégie et les moyens soient revus dans le cadre d’un programme positif optant dès maintenant pour une démarchandisation sélective et croissante de nos sociétés. Mais comment ? L’organisation de l’action revendicative dans le respect des spécificités et différences est essentielle, mais elle devra s’allier à une réflexion globale et rigoureuse sur le système-monde et à un large débat pour penser la politique dans le présent et imaginer une autre société pour l’avenir. L’alternative sur le plan normatif se définit en ces termes : soit les privilèges et les inégalités politiques et sociales prospèrent, soit plus de démocratie et d’égalité s’imposent dans une organisation sociale basée sur « l’utilité collective et la juste distribution des biens ».