De quel fils s’agit-il ? L’autrice, fille du philosophe Bernard-Henri Lévy, s’immisce dans la psyché de la mère de l’artiste Antonin Artaud, le fils en question, pour développer une histoire d’adoration maternelle. Euphrasie Nalpas-Artaud est aussi bizarre que pouvait l’être son enfant adoré et leur relation l’est tout autant. Surréaliste.
Loin de ses habituels romans autofictifs dans lesquels ses liens familiaux ou amoureux prenaient toute la place, et pour cause oserait-on dire, l’écrivaine Justine Lévy franchit le pas qui la séparait du roman pour se glisser dans la peau de cette mère maniaco-possessive, et aussi rejetée par son génial descendant. Par le biais du journal imaginaire d’Euphrasie Nalpas-Artaud (1870-1952) – bien documenté et frôlant sans doute la vérité –, Son fils permet de suivre sinon de comprendre la vie d’Antonin Artaud, l’écrivain, poète, acteur et homme de théâtre français (1896-1948).
Née en 1974 dans un milieu fortement médiatisé, Justine Lévy n’était évidemment pas présente lorsque ses parents se sont aventurés, en 1969, au cœur de la Sierra Madre mexicaine, sur les traces mythiques d’Antonin Artaud. Cinquante ans plus tard, l’autrice revient pourtant sur la vie du théoricien du « théâtre de la cruauté » et sur la descente en enfer de cet artiste incompris. Interviewée, elle a déjà expliqué l’importante présence de l’écrivain Artaud dans la bibliothèque familiale. Son demi-frère Antonin Lévy ne lui doit-il pas d’ailleurs son prénom ?
Quant à Antonin Artaud, surnommé Nanaqui, né à Marseille dans une famille bourgeoise aisée, il a connu une enfance heureuse. Sa mère est fière de son aîné. « Nous lui avons inculqué de bonnes valeurs familiales et catholiques. Et puis, il est beau, et tellement intelligent, passionné, sensible. » Que s’est-il passé pour que ce jeune homme adulé devienne un sans-abri, un toxicomane, un patient assidu de différents asiles d’aliénés ? « Un clochard. Un vagabond, mon fils. Je n’en crois pas mes yeux. Fou, à la limite, on s’y fait, on s’habitue, et puis on n’y peut rien. Mais clochard ! » Souvent malade, le jeune Artaud a très tôt connu la douleur, l’électrothérapie et les médicaments abrutissants, puis la dépendance au laudanum, les électrochocs, l’internement.
Impuissante, sa mère essaie de le comprendre et de l’aider. Elle craint sans cesse pour sa vie, lorsqu’il part dans ses quêtes mystiques au Mexique ou en Irlande, lorsqu’il ne donne plus de ses nouvelles, lorsque à Paris il vit avec des femmes qu’elle déteste, dont Anaïs Nin, ou avec des amis en qui elle n’a pas confiance, les Desnos, Breton, Balthus, Paulhan ou Picasso. Mater dolorosa, mère courage, ou mère surprotectrice et dévorante, atteinte du syndrome de Münchhausen ? « Ils ont insinué, ils ont sous-entendu, que je l’avais rendu malade exprès pour pouvoir ensuite le soigner. »
Justine Lévy retrace avec habileté le carrousel d’émotions que vit cette mère folle d’inquiétude pour cet être génial et autodestructeur. Une présence étouffante, sûrement, et un amour indéfectible, bien que maladroit, pour son propre enfant.