Il y a vingt ans, Nuit blanche avait commenté La folle vie de Woody Allen, une biographie dévastatrice – et biaisée – de Marion Meade ; mais cette fois, c’est le principal intéressé qui prend la plume. Et c’est beaucoup plus intéressant, car on se recentre sur l’œuvre.
Cette version française du livre Apropos of Nothing (qui est finalement paru en anglais chez Arcade, à la suite du désistement de Hachette Books) débute par un préambule qui rappelle la séquence d’ouverture du film Annie Hall (1977) : une sorte d’avertissement qui servira de mode d’emploi pour apprécier le reste de l’ouvrage, et qui consiste à présenter le plus rationnellement possible le père et la mère du cinéaste. Ceci expliquera bien des choses par la suite. Raconteur hors pair, Woody Allen sait créer une sorte d’aura autour de son entourage, à commencer par sa famille. Il n’a que de bons mots pour la plupart de ses proches, des artistes qu’il admire et des nombreux collaborateurs avec qui il a travaillé ; ce sera la matière première de ce voyage dans le temps. C’est un bonheur de lire cet autoportrait si l’on connaît bien ses films, car on peut y établir des correspondances, des décalages subtils entre la fiction et des moments avérés : par exemple, cette allusion à ce père chauffeur de taxi, dans Radio Days, qui ne voulait pas révéler à son fils son véritable métier,car le brave papa semblait en avoir honte.
Woody Allen répète sans cesse qu’il est différent du personnage qu’il met en scène dans ses longs métrages, et il faut retenir que sa vie privée n’est pas celle que l’illustrateur Stuart Hample avait librement racontée durant les années 1970 en inventant une bande dessinée loufoque (des séries de comic strips de quelques cases, un peu à la Charlie Brown) mettant en scène un petit intellectuel à lunettes, à la fois timide et un peu complexé.
On repense parfois à l’humour de ses premiers livres comme Dieu, Shakespeare et moi ou bien Pour en finir une bonne fois pour toutes avec la culture en lisant cette autobiographie aux touches philosophiques. Les pages les plus appréciables de Soit dit en passant sont celles qui expliquent la genèse de ses longs métrages ; inversement, les passages sur ses déboires familiaux auraient pu être abrégés. Les anecdotes abondent et sont souvent cocasses, comme cette rencontre fortuite avec le légendaire Cary Grant ou encore une autre avec Tennessee Williams. Et l’on circule beaucoup dans les hauts lieux de New York et de partout ailleurs, au fil des tournages.
Comme pour les génériques de ses films, Woody Allen a voulu que l’édition de Soit dit en passant soit minimaliste : pas de couverture illustrée ni d’images ; pas d’index ni de titres de chapitres. Et pas de préface. Que du texte ! Et une belle photographie récente en quatrième de couverture de la jaquette. Ajoutons que la traduction de l’anglais (États-Unis) par Marc Amfreville et Antoine Cazé est très vivante. En outre, une version en livre audio a été lancée, lue par le comédien Jean-Luc Kayser, présenté comme « la voix française officielle de Woody Allen depuis près de 30 ans ». De quoi nous faire hésiter entre le livre et le livre audio, avant de considérer d’en faire l’acquisition.