L’être humain construit son individualité grâce aux liens qu’il entretient avec les autres, et ce, dès sa naissance, par la filiation. La mort peut changer la nature de ces liens, mais pas leur fonction. Tandis que la psychologie se penche plus volontiers sur les conséquences de la perte pour l’endeuillé, Magali Molinié, psychologue clinicienne et enseignante à Paris-8, a choisi d’étudier la relation dynamique qui s’installe entre une personne qui vit un deuil et une personne décédée. Car, après tout, argumente-t-elle, un mort n’est pas inexistant.
Pour les besoins de sa recherche, Magali Molinié a recueilli les témoignages de plusieurs individus qui ont eu, chacun à sa façon, à vivre un deuil et qui se retrouvent dans une relation singulière avec un ou plusieurs disparus. Afin d’élaborer sa réflexion et d’effectuer son analyse, elle va puiser à la fois dans la psychologie et dans l’anthropologie, science qui propose le terme « deuilleur » plutôt qu’« endeuillé », le suffixe en « eur » indiquant une part active et intentionnelle. Elle parviendra ainsi à effectuer une analyse psychologique stupéfiante des individus qui se sont confiés à elle dans une perspective relationnelle de l’être humain.
Au cours de sa recherche, la psychologue explique entre autres comment l’Église, après la révolution pasteurienne, laissera le soin des morts à d’autres instances. Ce faisant, la mémoire des morts, que l’Église a voulu liturgique, se transportera au cimetière et dans la tête des vivants. Ce changement va éliminer certains mythes et autant de rites liés à la mort, accélérant le processus de laïcisation de la société. Le travail de Magali Molinié vient, entre autres, réhabiliter l’importance du rite mortuaire : « Si les obsèques sont le moment de l’adieu au disparu, elles inaugurent en même temps, tout comme la naissance, le début d’un processus de définition de l’autre, non pas ici l’enfant, mais le défunt, et l’auto-redéfinition de soi».
Ce livre permet de concevoir la mort sous un autre angle, non pas dans le sens de la perte, mais bien au contraire sous les auspices rassurantes de la transformation et, pourquoi pas, de la continuité. À travers son analyse, Magali Molinié démontre que « soigner le mort [ ] est bien le chemin par lequel il faut parfois passer pour guérir le vif ». Un livre rassurant pour ceux qui pensent que certaines personnes, une fois mortes, ne peuvent pas se transformer en simple souvenir.