À l’origine, la social-démocratie (SD) représenta l’élément central de la formation du mouvement ouvrier et de son action politique. Suivant la période d’après-guerre, elle demeurait le véhicule des aspirations pour le changement social et des luttes pour la transformation du capitalisme. Après avoir nourri et canalisé ces idéaux au cours des mobilisations des années 1960, 1970 et 1980 dans le sillage de leur accession ou participation au pouvoir, les partis de la SD furent incapables de répondre aux espoirs qu’ils suscitèrent. En place, la SD prit en charge la gestion de l’austérité capitaliste puis se fit le relais, parfois discret, des politiques économiques du néolibéralisme. Voilà maintenant que l’on parle de « troisième voie » ou de « nouveau centre ». Plus de référence à la classe des travailleurs ni à ses luttes. En fait, la SD n’est plus le lieu d’une référence identitaire pour la masse des salariés. C’est l’aboutissement de cette trajectoire que Serge Denis analyse avec finesse, combinant des éléments d’histoire à une intéressante discussion sur les déterminations du phénomène social-démocrate et les outils conceptuels de sa compréhension.
En abandonnant sa fonction historique d’origine, la SD entreprenait un changement de nature en regard des intérêts auxquels elle s’identifiait depuis sa genèse, argumente l’auteur. Cet « épuisement programmatique », qui aujourd’hui débouche vers un nouveau positionnement idéologique, se traduit par une « disjonction » entre les choix et orientations politiques de la SD et les attentes relatives à ses bases sociales historiques. Les tensions et ruptures que cela devait entraîner trouveront leur correspondance dans la volatilité de l’électorat. Fait remarquable lié directement à cette crise de représentation selon l’auteur, c’est l’essor, observé en France et en Italie depuis la fin des années 1980, de nouvelles formes d’organisation dans les conflits sociaux, les fameuses « coordinations ». C’est en dehors du cadre organisationnel de la SD et des appareils syndicaux de même qu’en opposition à ses choix politiques que ces luttes de salariés et de secteurs sociaux, généralement associés à la SD, expriment plus clairement et radicalement des revendications et des aspirations contribuant à façonner une identité de classe dans l’action politique autonome.