Un train bondé. Ce matin-là, quatre passagers n’auront d’autre choix que de prendre place dans le wagon nuptial, un compartiment rose au décor kitch aménagé pour deux personnes. La fonction de cet espace potentiellement porteur d’une forte connotation se limitera finalement à créer la promiscuité nécessaire à l’action du roman : obliger les deux femmes et les deux hommes, étrangers les uns aux autres, à sortir de leur quant-à-soi. L’action repose en effet sur les mouvements de rapprochement et de recul des personnages au cours des vingt-quatre heures que dure le voyage. Au gré des échanges chargés de sous-entendus, d’interprétations hâtives qui sèment la confusion, de gestes provocateurs mais aussi d’alliances intermittentes, chacun cherche à cerner l’autre derrière les apparences, voire à percer son secret. Ce faisant, il déchire bien malgré lui un coin du voile qui protège son identité. Malgré tout, dans les circonstances, ce petit échantillon d’humanité apparaît plus disposé à sympathiser qu’à s’ignorer. De sorte qu’à l’issue du voyage, un geste de solidarité laisse croire qu’une certaine transformation s’est opérée chez les personnages.
En dépit de cette ouverture, l’ambiguïté persiste, le contour des personnages reste flou, de même que leur motivation respective. L’action romanesque en souffre et l’histoire n’arrive pas à prendre forme. Ce qui n’empêche pas une représentation réussie des comportements révélateurs du caractère des personnages, habile qu’est la romancière à imaginer des situations dérangeantes. L’importance et la vivacité des dialogues ne sont pas non plus étrangères à la justesse de cette représentation. En cela, Singuliers voyageurs se rapproche du texte dramatique. Quant aux passages narrés, si l’on oublie quelques tournures et images douteuses (« Élisabeth haussa des sourcils vertigineux » ou « […] les journaux gisaient sous les banquettes, comme des combattants morts au champ d’honneur »), ils plaisent par le style, résultat d’un équilibre entre élégance et naturel.