Reflet sans doute de ses deux pôles affectifs, depuis plusieurs années déjà, l’une de nos grandes reines du crime, j’ai nommé Chrystine Brouillet, mène de front deux séries romanesques et policières (dans le désordre pourrait-on dire). L’une, la plus ancienne, est située dans la Vieille Capitale, l’autre à Montréal. Deux séries, deux enquêteurs.
Silence de mort nous ramène la personnalité attachante, épicurienne et originale, et toujours pleine de doutes, de Maud Graham, enquêteuse émérite de Québec, qui est devenue un personnage familier pour bien des lecteurs. La pauvre se trouve une fois encore plongée dans une intrigue complexe, constituée de plusieurs histoires qui s’enchevêtrent à loisir, comme l’affectionne l’auteure de Rouge secret et du Collectionneur.
Cette fois, le point de départ se situe autour d’un quartier petit-bourgeois et très tranquille de Québec ; un lieu idyllique, sorte de Wisteria Lane où chacun connaît son voisin, où l’on s’invite les uns les autres à des barbecues tout en fourrant allégrement son nez dans des affaires qui ne regardent personne. Un îlot de tranquillité urbain où tout va basculer quand un couple lié à la pègre est assassiné. Ce meurtre double, comme un coup de tonnerre, fait voler en éclats la petite communauté. Maud Graham entre en scène, alors que le crime tisse son réseau, que de jeunes criminels s’endurcissent jusqu’à s’entretuer pour un peu de dope ou pour avoir été au mauvais endroit au mauvais moment.
Parmi ces fils épars qui finiront par se nouer, les visages d’êtres en pleine crise, celle de l’adolescent fugueur, par exemple, qui se cherche une ancre, celle de l’homosexuel vieillissant et seul, celle de la beauté déchue qui cherche à utiliser ses beaux restes pour appâter un bon parti, mais dont le passé est lourd de secrets. Car ce Silence de mort aurait pu, s’il n’y avait eu un Rouge secret, s’intituler Secret de mort. Fidèle à sa démarche habituelle, Chrystine Brouillet a ici encore choisi d’exploiter un thème central touchant la condition humaine, dans ce cas un sujet moins concret sans doute que ceux de ses précédents romans, mais plus universel : celui de la quête d’identité. Maud Graham elle-même, bonne vivante, gastronome et grande amoureuse, est appelée à s’interroger sur sa vie, son avenir, à travers les silhouettes en détresse qu’elle croise. Les jeunes surtout, qui demeurent omniprésents dans l’œuvre de la romancière.
L’intrigue de Silence de mort aurait sans doute gagné à être resserrée. Les dialogues et les réflexions intimes des personnages déroutent parfois par leur longueur. Le niveau de langue est aussi inégal, tentative sans doute de restituer la texture des différents mondes qui s’entrechoquent, celui du crime, celui du Québec tranquille et bourgeois, celui de l’adolescence.
Un roman imparfait donc, mais tout aussi attachant et agréable que les quelques précédents.