Toute une langue. Toute une histoire… Il ne se passe pas une année sans que le monde de l’édition nous livre quelques ouvrages sur la langue française, ce sujet inépuisable.
Ces derniers temps, les remises en question sur les plans historique et sociolinguistique ont été nombreuses. Dans Si la langue française m’était contée, Magali Favre nous accorde une pause bien méritée. Finies les accusations et les dénonciations ! On se contente d’examiner la langue française comme un objet – un objet d’art. Un art peaufiné par des siècles de développement.
Le français est en effet la résultante d’une histoire fascinante dont les ramifications sont infinies. On peut le voir comme l’aboutissement d’un travail conscient mené par ses locuteurs, mais aussi comme le fruit d’une transformation aussi naturelle et involontaire que celle d’un littoral qui se laisse modeler par les éléments.
L’approche choisie est étonnamment simple et efficace : le français est certes issu du latin, mais il s’est alimenté à plusieurs autres langues. Chaque chapitre est consacré à une de ces sources. On raconte d’abord ce qui s’est passé sur le territoire français pour que certains mots de la langue en question s’immiscent dans notre univers. C’est un rappel de l’histoire de France, de l’histoire des rapports de force, de l’histoire des mouvements de population, de l’histoire des influences culturelles… Le récit est clair et simple, complet sans être inutilement détaillé.
Cette section narrative de chaque chapitre est suivie d’une liste de mots venus de la langue ou de la région dont il est question, avec des explications, leur étymologie et leurs variantes, en un petit paragraphe chacun. Tant et si bien que le livre constitue également un véritable dictionnaire étymologique ! À vue de nez, on y compte bien plus d’un millier de mots ainsi répertoriés avec leur origine spécifique.
C’est ainsi que défileront tour à tour, sous nos yeux émerveillés : le gaulois (caillou, coq, dru, gaillard), le grec (araignée, grotte, tympan, zone), le francique (blé, botte, frapper, trébucher), l’arabe (alcool, coton, douane, masser), le norrois des Vikings (vague, équiper, flâner, girouette), l’italien (belvédère, citadelle, douche, escorte), les langues régionales du territoire français (amour légué par l’occitan, bizarre enfant du basque, cohue issu du breton…), et l’anglais bien sûr. On ne manquera pas, cependant, de signaler aussi les nombreux mots légués à l’anglais par le français. « Entre le Moyen Âge et la Seconde Guerre mondiale, l’anglais a emprunté plus de 5 000 mots au français, alors que le français en a emprunté un peu plus de 3 000 à l’anglais durant la même période. » (On sait que la tendance s’est inversée au cours du dernier siècle !) On traitera aussi des variantes du français dans la francophonie (mots du Québec et d’Afrique notamment), des enrichissements venus des langues locales des territoires conquis (atoca, cacahuète, coyote en provenance des Amériques, carambolage, châle, shampooing depuis l’Asie) et des mots issus tout simplement de noms propres de personnes ou de lieux (poubelle, utopie, limoger, corbillard).
Ce foisonnement de formes et de couleurs ne doit cependant pas nous faire perdre le nord : le français a bel et bien un tronc latin, malgré ces nombreuses et heureuses greffes de toutes les langues avec lesquelles ses locuteurs sont entrés en contact. Par exemple, l’arabe a été une source d’enrichissement indéniable, mais on parle d’environ 250 emprunts, ce qui reste un apport secondaire sur les dizaines de milliers de mots de notre vocabulaire. (Cette proportion est certainement appelée à progresser avec l’influence de la langue des banlieues en France.) Il ne faut donc pas que les arbres nous cachent la forêt : c’est bien du latin que viennent la grande majorité de ses mots, même s’il faut distinguer entre plusieurs « origines latines ». Il y a d’abord l’évolution naturelle de la langue des Romains en Gaule à partir de la fin de l’Antiquité, mais aussi tous les mots entrés plus tard à la faveur de l’érudition des auteurs, inventeurs, théologiens et penseurs qui, eux, continuaient à utiliser un latin écrit bien après que cette langue eut disparu de la rue et des campagnes. Il y a aussi les mots d’origine latine qui sont entrés en français par l’intermédiaire de l’italien, de l’occitan, du catalan… et même de l’anglais.
C’est aussi bien à un merveilleux voyage dans l’histoire des 1 500 dernières années qu’à une redécouverte de la dimension profonde des mots que nous utilisons chaque jour que nous convie Magali Favre avec ce petit ouvrage qui saura à la fois satisfaire la curiosité naturelle des uns… et, pourquoi pas, permettre aux autres de briller en société !