Dans la continuité des essais Pierres de touche (2007) et Points de vue (2012), ces carnets présentent en même temps un aspect mouvant et fractionné que ne possédaient pas les ouvrages antérieurs. Le tâtonnement de l’écriture s’y fait flottement de la pensée.
Avec ces pages qui se veulent « à l’image d’un mode d’être », Roland Bourneuf donne libre cours à une écriture qui accompagne et creuse le vécu. Il se positionne de manière à regarder les choses « de plus près, de plus loin, de plus haut ». Comme chez Montaigne, l’ouverture au monde y est cultivée de concert avec l’attention à soi ; la pensée se tourne successivement vers elle-même et vers l’extérieur. Le mouvement ne connaît ni début ni fin (c’est en cela qu’il épouse le tracé du sentier et de la source). La première entrée, en décembre 1999, nous apprend que ces carnets sont déjà « commencés », qu’ils forment des « chantiers ouverts ». La dernière, en décembre 2008, porte sur « l’inachevé » et « l’inaccompli ». Aussi cette prose ondoie-t-elle davantage qu’elle ne s’immobilise. « De quoi est faite la vie, se questionne l’essayiste, la mienne, la vie universelle, où va-t-elle, comment la dégager, la libérer ? »
Pour remplir cette activité introspective, Bourneuf emprunte différents chemins. La littérature occupe la voie royale. Les écrivains qu’il prend plaisir à lire ou à relire (Pourrat, Jünger, Ernaux, Gracq, de même que les auteurs de la Mitteleuropa : Zweig, Schnitzler, Márai, Musil) lui inspirent de fines réflexions. L’élaboration de ses propres écrits retient aussi une bonne part de son attention (du Traversier à L’ammonite, ce ne sont pas moins de cinq livres qui ont paru ou germé pendant la période couverte par ces carnets). D’autres belles pages sont consacrées aux voyages devenus, avec les aléas de la santé et de l’âge, de plus en plus rares : Prague, Venise, la Russie, la Grèce… Est-ce sa formation en psychologie analytique qui le pousse à consigner régulièrement ses rêves ? Toujours est-il que le rêveur enregistre scrupuleusement les images ramenées du monde du sommeil. En outre, la musique, la peinture, la spiritualité, le mouvement de la civilisation occupent tous, à différents moments, le champ de la conscience de l’écrivain. Avec Sentiers, sources, on entre de plain-pied dans l’intimité d’un esprit.