Une femme sans âge roule vers un cul-de-sac couronnant l’une des ramifications solitaires de la 389 Nord, trois heures passé Baie-Comeau. Elle éteint sa voiture au bout du chemin, en sort laborieusement. Secouée par une quinte de toux, elle crache de sombres filets de sang dans la neige immaculée qui tapisse le sol durci par le gel. Elle réussit malgré cela à marcher plusieurs kilomètres avant de s’éteindre doucement, entourée d’une ronde de caribous, la bouche crispée par le froid, figée sur un dernier soupir de soulagement.
Quelques jours plus tard, son fils, narrateur de S’en aller, premier roman de Francis Rose, apprend la nouvelle par les services de la Sûreté du Québec. Afin de répondre aux dernières volontés de sa mère, il entreprend de rejoindre Baie-Comeau et d’y récupérer les cendres de la défunte dans le but de les disperser dans son jardin. Pour mener à bien son projet, il fait appel à son père, avec qui il entretient depuis sa jeunesse des rapports troubles. Professeur affairé, écrivain renfrogné, homme austère et complètement inapte à assumer son amour paternel, celui-ci l’accompagne à reculons.
Cette mort laisse bien des questions en souffrance. À la recherche d’indices, le fils tente de se souvenir, amorce parallèlement à ce voyage sur la Côte-Nord une « randonnée dans le passé », à l’affût de signaux annonciateurs de ce décès brutal. La vérité est que sa mère reste pour lui une page blanche, indéchiffrable, petit bout de femme ayant limité ses rapports interpersonnels, coupée du monde par tous les livres qu’elle fréquentait compulsivement. Pour se faire à l’idée de son départ, le narrateur devra donc lui imaginer un passé fait d’errances et d’amours tragico-sublimes avec un certain Kalo Frimm : « Tout est histoire », écrit-il, « Tout se raconte. La mémoire appelle le souvenir, le souvenir appelle la fiction ».
Entre ces épisodes inventés et le pèlerinage routier, la stratégie des retours en arrière fait peu à peu la lumière sur la dynamique conflictuelle des relations entretenues par les membres de cette famille éclatée. Particulièrement efficace à communiquer les états d’âme de personnages toujours crédibles, Rose, dont tout le soin porté à l’écriture demeure inentamable, multiplie par contre les anecdotes de voyages, de vacances, etc., qui finissent par prendre le dessus et diluer l’intérêt porté au récit premier de la quête.
ESPACE PUBLICITAIRE
DERNIERS NUMÉROS
DERNIERS COMMENTAIRES DE LECTURE
Loading...