On dirait que ce recueil suit le rythme de la vie de Rose Després. De la respiration de sa vie. Des bas et des hauts. Du désespoir et de l’espoir. Les poèmes se succèdent, passant de constats et de commentaires sombres sur la société et l’humanité à des jaillissements plus personnels qui ouvrent un sentier vers la lumière.
Le titre donne une indication du cheminement de la poète : cette Belle-Côte est l’endroit où elle habite. Son recueil débute sur « cette vertigineuse amertume de l’enfance / [qui] tourbillonne encore » et « continuera de pulvériser / les croquantes mâchoires ingrates ». Le deuxième poème présente une partie de ces « mâchoires ingrates » : riches, abuseurs, tyrans, dont il ne faut « pas emprunter le pas », que les deux poèmes suivants développent. Puis, c’est le constat que « pourtant je rêve / saturée d’envie / enlacée de joie », court moment de lumière.
Il n’y a pas de sections ou de parties dans ce recueil : les poèmes s’enchaînent et on pourrait aussi dire qu’ils sont enchaînés l’un à l’autre. La charge contre tout ce qui crée le « mal » est cinglante ; je ne trouve pas d’autre mot, si ce n’est « ce qui ne va pas » « ou ce qui crée des injustices », et elles sont nombreuses ces injustices. La poète commente des événements récents, comme les abus, et pas seulement sexuels, perpétrés par les religieux, les guerres, les réfugiés, les problèmes environnementaux (déchets, pétrole, destruction des forêts, pollution sur mer et terre, dérèglement climatique). La liste pourrait être plus longue, chaque poème abordant une facette de la problématique dans des vers qui claquent : « des fusillades zigzaguent les forêts / et les jungles sont amaigries par la famine / des prés dépéris » ou encore « la corde du bourreau / ricane en ligotant l’héritage / et son histoire ». Sa critique des prêtres et des capitalistes est particulièrement féroce dans « ça sert d’os » (sacerdoce) : « les habits trois pièces / des magiciens aux baguettes pointues / aux bradjettes dézippées » (en italiques dans le texte).
En contrepartie, entremêlés à ces textes, d’autres poèmes, environ la moitié, apportent des éléments de résistance, si fragiles soient-ils : « nous savourons l’océan / du désir / comme les fruits / amoureux des arbres » ; « bouche bée sous les étoiles / un témoignage scintille / nous récupère / juste à temps ». Le dernier poème, « le corps revêt son passé pour en revenir », se termine par ces vers : « une lueur satine / une clarté spacieuse / où il fera bon vivre / le regard ouvert ».
Toute l’œuvre de Rose Després, ce recueil est son septième, se fonde sur sa vie. Mais à la différence des précédents, Séjour à Belle-Côte élargit sa vision en y intégrant son point de vue sur la société et sur la place qu’elle cherche à prendre ou souhaite occuper en son sein.
Si dans ses premiers écrits on discernait l’influence du surréalisme, tel n’est plus le cas. Son message est clairement énoncé et ses poèmes sont intenses, vibrants et surtout vrais. Elle ne triche pas avec elle-même et se livre dans ses hésitations, ses déceptions, ses désirs et ses rêves. Un recueil né au fond de son cœur qui rejoint celui du lecteur.